Quatrième permission, du 21 octobre au 2 novembre 1916. En Aveyron. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Quatrième permission, du 21 octobre au 2 novembre 1916. En Aveyron.

1916 > Forêt d'Argonne

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- Samedi 21 octobre 1916 -


Sainte Messe vers 5 h à la chapelle du camp. Ensuite nous allons apporter notre fourniment aux cuisines où nous prenons un quart de "jus" bien chaud.
Vers 8 h, en marche pour la gare de Clermont-en-Argonne où nous devons embarquer à midi. Arrêt à la coopérative pour acheter quelques provisions. Temps radieux ; aussi la joie est dans nos cœurs. C'est si doux d'aller retrouver des êtres chers : une excellente mère qui verse souvent des larmes pour nous, des sœurs aimées. Hélas ! je ne retrouverai plus là-bas, sous le toit familial, la belle figure patriarcale auréolée de cheveux blancs de notre père bien-aimé. Dieu nous l'a ravi ! Que son Saint Nom soit béni par nous et aussi dans le ciel par celui que nous pleurons !
A midi en route pour le pays !
Vers 14 h à Sainte Menehould, petit arrêt, puis vers 16 h à Révigny d'où nous ne partirons qu'à 20 h. Donc on profite de ce long arrêt pour aller faire un petit tour et se restaurer un peu. Distribution gratuite de café à la gare : nous en usons largement. A 20 h ou plutôt 21 h, car le train a du retard, en route vers Paris. Ce n'est pas ma route directe, mais ainsi j'aurai 12 h d'arrêt à Paris, ce qui me permettra de célébrer la Sainte Messe et j'arriverai à peu près à la même heure à Capdenac.


- Dimanche 22 octobre 1916 -

À Paris.

À 5 h nous débarquons à la gare de l'Est. Je me promène un peu dans les rues avoisinantes avec un camarade d'occasion à qui j'ai rendu quelques petits services. Je suis vraiment étonné de voir la quantité des femmes de mauvaise vie qui au passage provoquent les braves poilus : c'est une honte !
J'essaie de retrouver l'église Notre Dame pour y dire la Sainte Messe, mais je ne connais pas assez la ville et de plus il ne fait pas assez jour pour me diriger. Aussi je m'arrête à l'église Saint-Ambroise où on me fait un bon accueil et où je puis célébrer le Saint Sacrifice vers 6 h 30. C'est une vraie joie pour moi de pouvoir ainsi sanctifier mon dimanche. Je visite ensuite quelques églises après avoir déjeuné au "Foyer du Soldat". Je visite aussi Saint-Laurent et Saint-Vincent-de-Paul, puis me voilà parti à la recherche de Montmartre. J'y arrive sans trop de mal, juste vers la fin de la grand-messe qui est chantée avec beaucoup d'art.  Grande

assistance, grande majesté d'architecture de l'ensemble de l'édifice. La voûte est noircie à demi, sans doute par la fumée des encens et des cierges. Des milliers de ces derniers se consument lentement aux pieds de la grande statue du Sacré Cœur. Je m'agenouille à mon tour aux pieds du Bon Maître et fais à son divin cœur, au nom de toute ma famille, offrande et amende honorable ; quelques pensées sublimes ont traversé mon esprit durant ces quelques minutes vraiment célestes !
Quelle France que celle qui est là prosternée sur les dalles de ce sanctuaire, monument public de la reconnaissance des Français envers le Divin Cœur ! Visite à la crypte qui est une ... ? J'admire ensuite de l'extérieur la vue panoramique de Paris, malheureusement il y a un peu de brouillard. J'aurais voulu passer là une journée entière, mais les heures s'écoulaient bien vite. A 12 h dîner frugal au Foyer du Soldat. Dans l'après-midi, visite à un parent éloigné. Au passage, je visite le Panthéon. A 15 h retour vers la gare de l'Est. A 16 h 30, départ. La grande ceinture nous retient jusqu'à 20 h 30, à cette heure nous arrivons à Juvisy où nous stationnons encore jusqu'à 21 h 30, puis en avant pour Orléans.

En Aveyron.

- Lundi 23 octobre 1916 -

Vers 11 h 30 seulement nous débarquons à Capdenac, visite à ma sœur Louise, toute la famille va très bien. Je passe l'après-midi avec elle et je ne partirai que demain matin.

- Mardi 24 octobre 1916 -

Je monte à la maison, accompagné de Louise et de ses deux petits : ils vont passer une semaine avec nous.


*** FIN DU CARNET N° 8 ***

Lettre du curé de Glassac du 22 oct. 1916

Glassac 22 octobre 16

+    Mon cher ami,

    La Croix de l’Aveyron et la Revue religieuse ont reproduit le texte de votre belle citation ; nous en sommes tous heureux et je vous félicite. Auguste Couderc, notre voisin, en a mérité une autre depuis quelque temps ; je n’ai pas vu le texte qui n’a pas été reproduit par la presse. L’amour-propre de Glassac est flatté par l’honneur que lui procurent ses enfants.
Dernièrement l’abbé Lagarrigue était en permission ; je l’ai vu quelques instants seulement.  Il est au régiment de l’abbé Estibals qu’il voit de temps à autre. Il me dit que notre cher abbé prendrait sans tarder rang dans les brancardiers dès qu’un poste serait vide. Lui-même est pharmacien  et remplit un emploi assez doux. Justin Estibal,  votre ancien voisin, écrit de temps à autre. Nous avions, le 19 octobre, Charles Bédos à déjeuner à un dîner de service et il nous intéressa par ses souvenirs personnels de guerre. Il me dit de vous offrir ses bien fidèles sentiments. Il allait retrouver ses camarades près d’Arcis-sur-Aube avec la perspective d’être habillé de neuf et envoyé vers l’inconnu. Un frère sécularisé de Camonil, employé à l’état-major de Nancy soutenait que dans la région de Verdun, se trouvaient réunies 28 divisions françaises ; il y a longtemps qu’on a annoncé des préparatifs d’attaque en Champagne. Quelque nouvelle manœuvre se prépare-t-elle ?
Le frère de l’abbé Lagarrigue est artilleur à Doirans ( ?) ; ses lettres expliquent comment on doit se résigner à aller lentement dans une contrée dépourvue de voies de communications

et très accidentée. Le fils Cantaloube écrit toujours régulièrement du front de Salonique. Le fils aîné de Cardaillac ( Pierre) de Lavergne est mort à l’Hôpital de Bouttes-Gach de Carcassonne. Ce sera notre troisième mort de la guerre. Le 19 on faisait à Testet l’anniversaire du fils Belredon ( Pierre Cyprien )…
Le vin, le blé, sont rentrés. Les châtaignes, malmenées par le froid  subit qui a amené de la gelée, vont être à moitié levées ( ?) ...
La chronique militaire de la région n’est pas mauvaise. Le roulement de permissionnaires s’effectue. .. Si je désire vous envoyer un peu de pays par les quelques menues nouvelles qui s’y passent, vous m’avez révélé un peu de frontière par le tableau circonstancié de votre obligeante lettre.

En attendant le plaisir d’une nouvelle conversation, cher ami, je vous envoie l’accolade bien fraternelle.

J.Ladet



- Mercredi 25 octobre 1916 -

Sainte Messe à Glassac. Puis je vais me rendre à Rignac pour faire viser ma permission ; il pleut beaucoup, ce qui rend mon voyage pénible et peu intéressant. Veillée familiale pleine de charmes.

- Jeudi 26 octobre 1916 -

Sainte Messe à Testet. Visites diverses à des membres de la famille plus ou moins éloignés.

- Vendredi 27 octobre 1916 -

Sainte Messe à Glassac. A 8 h je prends à Saint-Christophe le train qui me conduit à Rodez. Vers 9 h visite à M. l'abbé Rouquier à Sainte Marie ( Nota : c'est ici que le webmestre de ce site et son frère ont passé leurs années de lycéens ) il me retient à dîner. Puis dans l'après-midi, je vais rendre visite à ces messieurs du Grand Séminaire qui sont tous très contents de me revoir. Quelques achats et en route pour le retour à 16 h. Je retrouve à Rodez quelques anciens camarades soldats (Delbour, Dior). On me dit que mon confrère sous-lieutenant Estéveny se trouvait à Rodez hier.


Que n'y suis-je venu moi-même ? J'aurais eu tant de joie à le revoir.

- Samedi 28 octobre 1916 -

Sainte Messe à Testet vers 7 h. A midi, nous déjeunons un peu en famille, Louise avec ses petits devant repartir à 5 h du soir. Je vais moi-même l'accompagner à la gare et même je descends avec eux jusqu'à Aubin faire une visite à nos parents (famille du côté de la mère d’Ernest). Bonne et agréable soirée passée avec les uns et les autres.

- Dimanche 29 octobre 1916 -

A 7 h je prends le train à la gare. Je dois aller faire les offices du dimanche à Escandolières. Grand-messe à 10 h, vêpres à 14 h. Programme bien rempli : beaucoup de monde à la messe. Aux vêpres l'assistance est aussi satisfaisante ;  avant le salut, mois du Rosaire.
Je rentre chez moi de nouveau vers 16 h.

- Lundi 30 octobre 1916 -

Sainte Messe à Glassac où je vois M. le curé pour la première fois. Aussi veut-il m'inviter à dîner. En attendant je vais accomplir un pieux pèlerinage à la tombe de notre cher papa (La même tombe où Ernest repose aujourd'hui). Il m'est doux de pouvoir m'y agenouiller dessus et de la mettre un peu en ordre. Travaux divers dans l'après-midi.

- Mardi 31 octobre 1916 -

C'est ce soir que je devrais reprendre le chemin du front : mais il me serait trop dur de voyager pendant toute la journée de la Toussaint : aussi je me résous à aller à la gare faire tamponner ma permission et à retourner à la maison. Visite à des parents.

- Mercredi 1er novembre 1916 -

Fête de la Toussaint
Je chante la grand-messe à Testet. Maman, Clémence et ma belle-sœur Marie y assistent et c'est une joie pour moi de leur distribuer la Sainte Communion. Il y a vraiment un grand nombre de communions, presque exclusivement de femmes et d'enfants pourtant.
Au retour, préparatifs de départ, toujours bien tristes. Dîner en famille. A 13 h départ : je veux partir à cette heure afin de voir au passage la famille Douziech à Capdenac. Maman et Marie en se

rendant aux Vêpres à Auzits m'accompagnent à la gare. Triste séparation : la pauvre maman a le cœur gros, mais ne veut pas le laisser paraître. A 14 h 30, en route ! A Aubin je reçois la visite de la cousine Louise. A Capdenac, je n'arrive qu'à 17 h, ce train marche avec une lenteur désespérante.
Souper en famille, puis de nouveau séparation. Quels durs sacrifices ! Que Dieu veuille bien les accepter en réparation de toutes mes fautes ! Dans l'émotion, j'oublie mon bidon plein ; petit malheur. Le petit Jean pleure à chaudes larmes.

Retour au front, en Argonne.

- Jeudi 2 novembre 1916 -

Je n'aurai pas le bonheur ce matin de célébrer les 3 sacrifices de la messe, suivant l'autorisation qui nous est donnée ce jour-là depuis la spoliation. Je ne puis qu'assister, tandis que le train nous ramène vers le front, aux pèlerinages entrevus au passage, dans les cimetières des villes et des villages. Mais comme je pense à tous ces chers morts ! Je récite le rosaire à leur intention.
Arrêt à Troyes où nous sommes déjà dans la zone des armées, il est environ 15 h. En route pour Révigny où nous arrivons vers 21 h. Notre train part seulement à 2 h 40 pour Sainte-Ménehould. Par conséquent, on a quelques heures à dormir aux abris des permissionnaires. Long et pénible stationnement sur les quais avant de nous embarquer ; le train part avec du retard.

Suite du récit : Forêt d'Argonne - 2.

 
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