Front Champagne #3 : Maison Forestière, Tranchée de Hansbourg, camp d'Eberfeld---- 322e R.I. ----- - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Front Champagne #3 : Maison Forestière, Tranchée de Hansbourg, camp d'Eberfeld---- 322e R.I. -----

1915 > 2e bataille de Champagne (sept. - décembre 1915 )

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Repos à la Maison Forestière.

- Lundi 15 novembre 1915 -

On se prépare à partir. Relevés à 10 h, on se rend à la Maison Forestière. Arrivée à midi. Chemin affreux : il y a un peu de neige, il en tombe même pendant le trajet. On est logés dans de mauvais abris, cachés dans les bois qui environnent la maison forestière. On les aménage de son mieux, et on arrive même à pouvoir allumer du feu. C’est sale et humide, mais on est en guerre. J’offre ces petites souffrances au Bon Dieu.
C’est un important village sous bois, grand lieu de passage de convois de toutes sortes, qui s’embourbent affreusement. Quelques marmites viennent éclater non loin de nos abris.

- Mardi 16 novembre 1915 -

Nous sommes privés du St-Sacrifice, faute d’abri convenable. Nous nous promettons de mieux chercher pour le lendemain car, vraiment, les journées sont trop vides quand on ne peut immoler la divine victime.


Journée employée à s’installer. Rien à noter. Temps toujours triste et froid.

- Mercredi 17 novembre 1915 -

Ste-Messe à 7 h dans un boyau couvert et fermé par une toile de tente. Après-midi : voyage à Somme-Suippe pour prendre la douche. En marche sous la pluie. Achats divers : on trouve difficilement quelques provisions. Douches et retour.


- Jeudi 18 novembre 1915 -

Lever assez matinal. Ste-Messe. Puis je suis occupé toute la matinée à préparer et à exécuter une expérience tendant à éprouver les procédés mis en pratique pour combattre les gaz suffocants employés par les Boches dans les dernières attaques de Tahure. Ces 2 procédés sont les suivants : tampon masque avec triple gaze, chacune enduite d’un ingrédient spécial. Lunettes. Voilà pour ceux qui sont obligés de rester au dehors : guetteur des créneaux, gradés, etc… Pour ceux qui sont en arrière dans les abris : fermer l’entrée de l’abri avec double rideau de toiles de tente séparées l’une de l’autre par un mètre environ. Mouiller les 2 rideaux avec pulvérisateur et les ajuster le mieux possible. A l’air libre, mouiller les abords des tranchées avec les pulvérisateurs. Allumer des feux de paille. Tout cela est fait, et l’on conclut à l’efficacité des 2 procédés. Mais le tampon masque étant mal ajusté chez certains, il se trouve qu’il y en a qui se trouvent mis à mal.

En pratique du reste, il semble bien difficile de réaliser toutes les conditions d’efficacité.

On devait partir à midi, on ne partira que demain. Deo gratias.
A 14 h, prise d’armes pour la remise de la Croix de Guerre à quelques héros du 25 septembre. Le canon gronde non loin de là ; c’est assez imposant, mais le froid aux pieds en enlève toute la poésie.
Soirée passée comme à l’ordinaire, c’est-à-dire à côté du feu avec les amis.


Au front, à la Butte de Souain.

- Vendredi 19 novembre 1915 -

Ste-Messe à 7 h dans le boyau. Préparatifs. Départ à midi. Je traîne la poussette des blessés. C’est très dur à cause du mauvais état des chemins. J’emporte avec moi l’autel portatif, car mes 2 confrères Ditte et Foucras sont de service à leurs compagnies, et donc ils marchent avec elles. Temps plus clément : ciel serein.
Nous arrivons vers 15 h à l’emplacement voulu. Pour nous il est le même que précédemment, mais il y a alternance entre les 2 bataillons du régiment : celui de droite est passé à gauche et vice versa. Nous restons près du poste de secours, assez confortablement logés grâce aux abris que les Boches avaient aménagés pour eux. Obus pendant la nuit.

- Samedi 20 novembre 1915 -

Obligé d’aller au ravitaillement, je ne puis célébrer la Ste-Messe. Cela m’ennuie, mais Dieu voudra bien tenir compte de mon désir. Mes 2 confrères peuvent la célébrer. Journée calme. Je passe mon après-midi en première ligne et vois mon ami Foucras. Chapelet dans le boyau au clair de lune. Un blessé nous arrive à 21 h. Une balle lui a traversé le bras tandis qu’il posait du fil de fer. Rien pendant le restant de la nuit.

- Dimanche 21 novembre 1915 -

Ravitaillement. Puis à peine arrivés, il faut revenir au même point pour y prendre 7 appareils Vermorels (des pulvérisateurs). Au retour Ste-Messe au poste de secours, à laquelle assiste tout le corps sanitaire disponible. L’abbé Ditte a dit sa messe dans la C nie où il est de service.
Rien de notable dans la soirée. Quelques bombes tombent à proximité de notre abri. Je vais voir mon ami Foucras en 1 ère ligne. Tout est calme.


- Lundi 22 novembre 1915 -

Ste-Messe à 6 h 30 dans une bonne cagna bien propre. Tout est calme, c’est vraiment pieux et l’on se plaît de pouvoir passer quelques minutes avec N.S., et de lui offrir sa journée avec tous les ennuis qu’elle nous réserve. La nuit a été glaciale, une couche de gelée blanche couvre le sol, on sent le besoin de se mettre un peu au chaud.
Travaux divers dans la matinée. Le soir, on va à la tranchée de Hansbourg remplir d’eau quelques Vermorels. Le soir je monte en 1 ère ligne où je vois Foucras et quelques amis. Pas de blessés. Transport de 2 morts retirés d’entre les lignes.


- Mardi 23 novembre 1915 -

Ste-Messe comme à l’ordinaire. Je sers celle des amis Ditte et Foucras. Ravitaillement.

Un de nos adjudants trouve la mort en maniant maladroitement des bombes. Il vit encore quelques minutes, mais je n’arrive à temps pour lui administrer l’extrême-onction. Son cadavre n’est qu’une loque. Pauvres jeunes gens ! Nous le transportons au cimetière situé derrière notre poste de secours et nous l’ensevelissons. De profundis sur sa tombe.
Le soir vers 20 h, un autre affreux accident nous rappelle en 1 ère ligne. Le lieutenant  Trémolet, commandant la 19e C nie reçoit une balle en pleine tête à un poste d’écoute et tombe immédia-tement dans le coma. L’abbé Foucras lui administre les derniers sacrements. Quelques minutes après, il meurt sans avoir repris connaissance. Cela me fait beaucoup de peine, parce que c’était un bien bon officier. Ses soldats l’ont pleuré. Nous le transportons dans une cagna et nous creusons la fosse. Le froid est intense. Coucher à 23 h.



- Mercredi 24 novembre 1915 -

Ste-Messe à 6 h 30. A 9 h une affreuse bombe nous fait 3 blessés légers et tue un caporal. Il est tué sur le coup. Nous le transportons au cimetière et l’ensevelissons. Après-midi, transport de la chère dépouille du regretté Trémolet au poste central où il doit être enseveli. Deux hommes de la C nie lui ont confectionné une mauvaise bière. Je suis appelé à bénir sa tombe en présence du colonel et d’un piquet de 8 hommes. Je revêts l’étole noire.

En réserve, au Camp d'Eberfeld.

- Jeudi 25 novembre 1915 -

Ste-Messe à l’heure habituelle. Préparatifs de départ. Une bombe nous fait un blessé, nous le transportons à la division. Au retour, on nous annonce que nous sommes relevés vers 15 h. On monte le sac et à l’heure indiquée, nous allons prendre notre position de réserve : le 6e Bataillon sur la route de Souain à Tahure, quant aux brancardiers, nous nous installons dans des abris du camp d’Eberfeld. Il est démoli en grande partie par nous-mêmes, car plusieurs de ses abris étaient susceptibles d’être bombardés et n’étaient point assez solides. Aussi a-t-on pu en retirer beaucoup de matériel, mais, comme toujours, beaucoup de gâchis. Cagna très confortable où nous passons la nuit. Visite à l’aumônier, notre voisin, M. Labadie, Bernat et Pascal, tous brancardiers au 122e et de mes amis.


- Vendredi 26 novembre 1915 -

Ste-Messe vers 7 h avec l’abbé Foucras, dans une cagna proprette. Le restant de la journée est consacré à faire ma lessive, car l’occasion est bonne : d’abord, tout mon linge est sale, et l’eau est à proximité. Un bon feu flambant dans une cagna me la sèche tant bien que mal. Le soir lecture et coucher de bonne heure.

- Samedi 27 novembre 1915 -


Ste-Messe comme hier. Ravitaillement. A 13 h, changement de programme : je fais partie de l'équipe de relève qui doit rester constamment avec le Bataillon de réserve. Mauvaise cagna : à la guerre comme à la guerre, il faut bien souffrir un peu comme tout le monde. Le froid est rigoureux. Aussi, je ne sors guère pendant la journée, sauf pour rendre visite à l’ami Foucras qui est souffrant. Bonne veillée dans notre petite cagna, devant un bon feu. Chapelet, prière. Repos.


Repos à Somme-Suippe.

- Dimanche 28 novembre 1915 -


C’est dimanche. Je suis invité par M. l’aumônier à dire la Ste-Messe dans sa cagna pour un petit groupe de brancardiers du 122 e qui vont à la relève.

Le restant de la journée se passe au camp avec le bataillon de réserve. Toujours froid rigoureux, il gèle fort. A 17 h, nous sommes relevés. On va passer 9 jours de repos à Somme-Suippe. 13 km. Nuit demi-noire ; verglas, chemins défoncés, on va cahin-caha, chargés comme des mulets, et pourtant on ne transpire pas car le froid est rigoureux. L’eau gèle dans mon bidon.
Vers 20 h, arrivée au camp J à 1 km de Somme-Suippe. Très mauvais abris, sales, bas et mal couverts. On construit de solides et plus confortables abris, mais les 2 ou 3 qui sont aménagés doivent servir à loger les officiers. Enfin, on s’installe tant bien que mal et on dort, car on est fatigué.


- Lundi 29 novembre 1915 -

Lever tardif. A 8 h, Ste-Messe dans une mauvaise cagna glaciale. Journée pluvieuse, assommante : nous ne sortons guère de notre mauvais abri. Mais impossible de trouver du bois pour faire du feu. La température est plus douce, mais l’humidité est pénétrante. Foucras est toujours fatigué.


- Mardi 30 novembre 1915 -

La pluie a cessé. Ste-Messe à 7 h 30, avec une installation tout à fait primitive : c’est une vraie étable de Bethléem. N.S. est bien bon de vouloir descendre dans une si pauvre chaumière. Hélas ! Je ne sais pas assez Lui en témoigner ma reconnaissance et mes journées se passent souvent sans que je songe même à cette grande faveur qu’il daigne me faire tous les matins. Si seulement je ne l’offensais pas ! Mais je me laisse toujours aller à ma mauvaise humeur. Je me renferme souvent dans mon égoïsme et ainsi je manque à la charité. Je ne fais pas le bien que je devrais faire autour de moi.
Journée tranquille, travaux divers, chapelet le soir sous les sapins.


- Mercredi 1er décembre 1915 -

Ste-Messe vers 7 h. La pluie se met à tomber de nouveau. Nos abris ne sont pas suffisants pour nous garantir. Journées longues, mais bien employées à écrire ou à faire quelques travaux d’orfèvrerie. Nouvelles mauvaises concernant les Balkans : la Serbie est agonisante sous le double étau bulgare et austro-boche : encore une martyre de l’ambition allemande.

- Jeudi 2 et vendredi 3 décembre 1915 -

Rien de saillant. Toujours du mauvais temps. On chuchote que notre division va prendre un long repos sous peu. D’où la question agitée entre nous : « allons-nous remonter aux tranchées ? » Impossible à résoudre …


- Samedi 4 décembre 1915 -

Sous l’invitation du colonel, nous célébrons la Ste-Messe pour les soldats du Bataillon morts au champ d’honneur. A 9 h 30 a lieu cette cérémonie qui, dans sa simplicité, est bien pieuse et bien touchante. L’assistance n’est pas très nombreuse. Il est difficile d’arracher les soldats de leurs cagnas, et puis ils n’ont pas bien le sens de ces choses-là. Enfin, le petit nombre qui y assiste, avec plusieurs officiers, est très recueilli. Dans la soirée, nous organisons la Ste-Messe pour le lendemain, le colonel s’y prête fort bien. 2 ou 3 bonnes âmes demandent à se confesser pour communier demain.

- Dimanche 5 décembre 1915 -

Une première messe est célébrée par M. Foucras dans notre abri : 5 communions. A 7 h 30, Ditte va chez un lieutenant d’autos-canons dire sa messe. Quant à moi, j’ai l’honneur de dire la messe en plein air, en présence du bataillon, à 9 h 30. Bonne assistance. On chante avec entrain ; le temps est assez beau. En 2 mots à la fin de la messe, j’invite les assistants à se préparer à la grande fête de Noël. Soirée ensoleillée assez agréable. On apprend enfin l’occupation totale de la Serbie par les Austro-Bulgares.



- Lundi  6 décembre 1915 -

Rien à signaler sauf une messe célébrée à 10 h 30 pour le repos de l’âme du regretté lieutenant Trémolet, tué pendant notre dernier séjour aux tranchées. La cérémonie a lieu en plein air malgré un vent violent. La compagnie y assiste à peu près tout entière. A la fin, chant du Libera. On apprend l’arrivée d’un nouveau Corps qui doit nous relever ici. On espère ne pas remonter aux tranchées.
A 21 h, une attaque se déclenche dans le secteur en face : elle dure plus d’une heure. Canonnade effrayante, ténèbres épaisses, mais la lueur de la canonnade les transperce. La nuit la canonnade continue.



Suite du récit :      Front de Champagne #4.




 
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