Mobilisation générale 1er août 1914 - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Mobilisation générale 1er août 1914

Avant le départ

- 1 er août 1914 -

Départ pour la colonie de vacances, malgré quelques bruits de guerre et de mobilisation qui circulent dans le Bassin Houiller. Entrain extraordinaire de nos chers petits colons. Départ de Cransac au train de 7 h. Voyage tout à fait gai. Arrivée à RODEZ à 8 h. Pas de route jusqu’à l’entrée du Faubourg. Là on se met en ordre, un sous-lieutenant en tête, un lieutenant derrière. Mais à peine s’est-on mis en marche, clairons sonnants, tambours battants, qu’une femme affolée vient nous prier de faire taire notre clique, de peur de surexciter la foule qui est déjà tout en fièvre : les bruits de mobilisation se sont confirmés, mais évidemment l’ordre n’a pas encore paru ; cela ne nous paraît pas une raison suffisante pour obéir aux injonctions de cette malheureuse.

Entrée à Rodez sensationnelle tout de même.
Le point de concentration est le pensionnat Saint Joseph qui doit nous donner l’hospitalité à midi. On s’y rend par le Bd Denys Puech qui est tout envahi par d’énormes troupeaux de bêtes de toutes sortes : c’est grand marché. Hommes et bêtes nous regardent avec étonnement : nos petits colons avec leur équipement complet, sac au dos, musette au côté, brandissant leur grande canne, ont bien l’air d’aller à la guerre : c’est tout à fait à l’ordre du jour.
Arrivée vers 9 h 30 à Saint-Joseph. On y dépose tous les objets gênants, et en avant pour aller visiter un peu la ville ; St Amans est tout près ; on y récite un bon Pater et on offre à Dieu ce début de colonie  qui s’annonce pour tous si intéressante. Hélas ! Le voile sombre qui devait la couvrir de ténèbres restait encore entièrement caché aux yeux de ces bons enfants sans soucis.

Chez nous la pensée devient un peu obscure. Un commandant du 122 e – le régiment qui stationne à Rodez – m’a accosté pour me demander un peu ce qu’était notre petit groupe. Après avoir répondu à sa question, je me suis permis de lui demander si les bruits de mobilisation étaient fondés ; sa réponse a été affirmative.

Ce matin même il avait reçu l’ordre de préparer la mobilisation. A l’instant même il se rendait à Ste-Geneviève pour voir si on pouvait y établir un cantonnement.

À 11 h 30 on rentre pour le dîner. Table tout à fait bien garnie, nos chers colons ont peine à en croire leurs yeux. En attendant, loin de s’extasier, ils font jouer activement cuillers et fourchettes et bientôt tous les estomacs se déclarent satisfaits. Il ne reste plus qu’à mettre sac au dos, et en avant pour la gare.

Il y a grand encombrement sur les quais : des territoriaux en bourgeron travaillent à l’embarquement de caisses de fusils Legras, qu’on nous dit être expédiés à destination de diverses gares de la ligne d’Albi pour garder les voies de communication : ça s’aggrave donc de plus en plus.

À 1 h 15, le train charrette  qui doit nous déposer à Bertholène se met en marche lentement ; il fait chaud et pas un brin d’air ne vient tempérer les ardeurs de ce soleil brûlant. Mais qu’importe, tout le monde est gai : on part en colonie, pourrait-on être triste ?

Après une heure de ce voyage si peu intéressant, on arrive à Bertholène. Là il faut prendre l’embranchement d’Espalion et changer de train. Par conséquent il faut attendre plus d’une heure sur les quais ; on profite de ce long arrêt pour se rafraîchir un peu. Mais on est impatient d’arriver et on appelle de tous nos vœux la locomotive qui doit nous amener vers le pays où vont se réaliser tous nos rêves de colonie. A 3 h 45 on nous donne satisfaction, et nous voilà à l’instant vers le vrai chemin d’Espalion. Dieu nous garde de tout danger et à 5 h nous serons rendus au charmant petit nid qui doit nous abriter pendant un mois.


Il fallait pourtant toute l’insouciance de l’enfant pour ne pas se sentir en proie à des préoccupations d’un autre genre. Autour de nous on ne parlait que de guerre. Des Parisiens éplorés rejoignaient en hâte leur famille et pensaient rentrer à Paris dans la soirée pour y régler leurs affaires. Le voile sombre de plus en plus assombrissait notre horizon !

Mais les petits colons n’en avaient garde : ils étaient tout à la joie et leurs yeux, devant la pittoresque descente à travers viaducs et tunnels qui s’étend sur une longueur de 4 ou 5 kilomètres, leurs yeux, dis-je, ne perdaient point de vue la belle maison hospitalière qui leur avait été montrée du doigt. À 4 h 45, une dernière fois la locomotive stoppe, c’est Espalion.

Tout le monde descend de  voiture ! On ne se le fait pas dire deux fois ; avec un ordre parfait chacun, équipé, prend vite sa canne et nous voilà sur le chemin de la gare. Clique en tête, tout le monde bien en ordre, on commence un défilé vraiment magnifique. Hélas ! Ce fut de courte durée ; nous étions à peine arrivés à hauteur de la gendarmerie que M. le Commissaire de police vient poliment nous prévenir qu’il serait bon de ne pas continuer notre marche triomphale, parce que l’ordre de mobilisation allait être affiché à l’instant. Nous ne nous le fîmes pas dire deux fois et, certes, ce fut heureux qu’on nous en avertît,
car notre gaîté de tout à l’heure aurait singulièrement contrasté avec les pauvres visages crispés, désespérés des pauvres femmes toutes en larmes. Nous gagnerons le collège par les voies les plus isolées, battus nous-mêmes par une nouvelle aussi terrible : une mobilisation générale !



Sans doute ce n’est pas encore la guerre, mais celle-ci est bien souvent la suite de celle-là ! C’était donc bien vrai ; maintenant, plus d’erreur possible !


Pauvres enfants du « pays Noir », vous allez vous aussi payer votre tribut de larmes et de sacrifices à ce terrible fléau qui s’annonce. Sans doute vous n’aurez pas encore à verser votre sang, mais, dès ce soir, il vous faudra dire adieu à tant de beaux rêves entrevus depuis si longtemps. Le sacrifice sera d’autant plus grand que depuis ce matin vous viviez une véritable journée de colonie. Il vous faudra voir partir, pour aller lutter, deux de vos maîtres dont l’un surtout, M. l’abbé Noyer, vous aime si chèrement. Il vous faudra aussi, sacrifice encore plus douloureux, voir peut-être partir un père, un frère, en tous cas des parents ou des amis. Ne les oubliez pas ! Que dans vos tendres élévations vers Dieu, vos cœurs sachent faire monter vers ce Bon Père des supplications qui le touchent. Oh ! Demandez-lui bien d’avoir pitié de nous ! De nous délivrer encore, si possible, de la guerre ! O fléau terrible dont on ne dira jamais assez de mal ! Faut-il que les hommes  soient pervers pour aller ainsi de sang froid préparer des choses si effroyables !
La cupidité, l’orgueil de Guillaume II qui veut mettre en présence des millions de soldats pour les voir s’entr’égorger ! Oh mon Dieu, quelle horreur ! « Si possible est, transeat calix iste ! »


Arrivés au Collège et aimablement accueillis par M. l’Econome qui, à défaut de M. le Supérieur, nous fait les honneurs, nous laissons à un des abbés le moins intéressé par la mobilisation  la garde des 35 petits colons. Leur gaieté n’est point exubérante, mais la beauté du site, la nouveauté des lieux, les font peu à peu sortir de leur consternation.

Quant à nous les vieux, les mobilisables, nous nous acheminons en hâte vers la Mairie pour lire à nouveau l’ordre de mobilisation et prendre nos mesures en conséquence. Le 1er jour est le lendemain dimanche : il faut donc qu’à tout prix demain nous soyons rentrés au Gua. Ce sera encore aisé, car demain encore, les trains circuleront normalement pour tout genre de voyageurs.




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Liste des prêtres ayant été ordonnés à Rodez en 1914.







Certains d'entre eux seront mentionnés dans les carnets d'Ernest Olivié ou dans les courriers qu'il a reçus.


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