Alsace #1 du 15 octobre 1917 au 18 novembre 1917 - 96e R.I. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Alsace #1 du 15 octobre 1917 au 18 novembre 1917 - 96e R.I.

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- Lundi 15 octobre 1917 -

Nous passons par Bourges, Nevers, le Creusot etc, etc... A Dijon vers 14 h 30. Le train pour Belfort ne part qu'à 3 h du lendemain matin. Nous devons attendre jusqu'à cette heure ; heureusement que je suis en compagnie du brave sergent Vayssettes. Ensemble, nous allons visiter un peu de Dijon qui est une belle et grande ville. Nous visitons surtout des églises, et assistons même au salut de la cathédrale, puis nous nous reposons à la cantine militaire jusqu'au lendemain matin.

À Rammersmatt.

- Mardi 16 octobre 1917 -

A Belfort vers 9 h 30. De là, il faut encore aller à une vingtaine ou 30 km, dans la direction de Thann. On emprunte un tramway électrique qui nous amène à l'heure au terminus qui est Sentheim. Là il y a un bataillon du 81e . Mon bataillon se trouve à Rammersmatt (au sud de Thann). Nous y arrivons vers 3 h. Aucun incident pour ma permission ; je n'étais pas sans crainte.
Village agréable, à mi-côte des Monts d'Alsace. Au loin dans la vaste plaine, on voit Mulhouse qui se profile avec sa forêt de cheminées d'usines. Nous sommes ici à 4 ou 5 km des lignes. En avant de nous, Thann avec ses 4000 habitants a presque tout de son aspect d'avant-guerre, dit-on. Le régiment fait des travaux de défense aux environs du cantonnement.
Un bon vieux curé d'aspect très aimable est à la tête de la paroisse. Les gens ne sont pas d'ailleurs déplaisants, quoiqu'ils ne parlent pas notre langue. Leur patois alsacien est inintelligible.
Le soir à 6 h, exercice du mois du Rosaire. Belle petite église, orgues magnifiques.


En guise d'introduction dans cette nouvelle région où arrive le 96e R.I., nous vous invitons à regarder une petite galerie de belles photos publiées par le Ministère des Armées : cliquez ici.


- Mercredi 17 octobre 1917 -

Sainte Messe vers 6 h 30. Pendant que les compagnies sont au travail, nous, les brancardiers, faisons le nettoyage des rues. Pour la première fois j'éprouve la douce satisfaction de commander mon équipe de brancardiers : tâche facile en raison de la bonne volonté et du bon esprit des camarades.
Une fois la tâche finie, j'ai toute facilité pour aller me recueillir soit à la cure, soit à la sacristie, soit même au P.S. où nous sommes bien installés. Il parait que c'est la mode à Rammersmatt de procurer un lit à tous les prêtres soldats ; mes deux confrères ont chacun le leur, on m'en offre aussi un à la cure : je ne crois pas devoir accepter pour ne pas déroger à mes vieilles habitudes que je crois bonnes de coucher toujours avec mes camarades. Dans l'après-midi nous allons chercher du bois pour une dame. C'est pénible, mais nous savons ménager nos forces.

- Jeudi 18 octobre 1917 -

Rien de spécial à signaler. Le temps reste toujours très beau. Je n'éprouve guère de cafard.

- Vendredi 19 octobre 1917 -

Rien à noter.

- Samedi 20 octobre 1917 -

Toujours le même train de vie plutôt agréable : on ne se croirait pas en guerre. Cependant dans la direction de Thann, on entend des éclatements de bombes. Thann charmante petite ville qui comptait bien 8000 habitants avant la guerre, en a conservé à peu près la moitié. On y trouve encore de tout, quoique certains quartiers aient été plus ou moins détruits. L'église, ancienne collégiale, vraie petite cathédrale, est intacte, très belle. Les visiteurs n'y manquent pas. Les lignes n'en sont qu'à 3 ou 4 km.

- Dimanche 21 octobre 1917 -

Grand-messe à 8 h 30. C'est M. l'abbé Jouanno, prêtre à la congrégation du Saint Esprit à La Réunion, nouveau confrère brancardier du bataillon, qui la célèbre et qui prêche : assistance satisfaisante. Messe paroissiale à 9 h 30 ; M. le curé y prêche toujours avant la messe, mais en allemand : on n'y comprend rien, bien entendu ; un certain nombre de soldats y assistent ; on est étonné de voir le recueillement, la bonne tenue de ces braves gens ; pendant toute la messe ils restent debout ou à genoux, jamais assis ; les chants sont très bien ; on est vraiment étonné et surtout édifié de voir que l'esprit religieux se soit conservé aussi intact. C'est l'instituteur qui tient les orgues. Il parait que c'est la mode partout : l'instituteur alsacien n'est pas le sectaire de chez nous ; c'est plutôt le bras droit de M. le curé : c'est bien beau.

- Lundi 22 octobre 1917 -

Rien de spécial à noter. Le temps est maussade : il n'influe pas sur notre moral parce que tout dans notre petit coin semble fait pour rendre notre vie agréable.

- Mardi 23 et mercredi 24octobre 1917 -

Certains bruits concernant notre prochain changement circulent : on reviendrait plus en arrière pour passer le chantier à d'autres. De tout cela, on ne sait rien de précis. Nous attendons les événements avec le plus grand calme.

- Jeudi, vendredi, samedi 25, 26, 27 -
- Dimanche 28 octobre 1917 -

Rien d'intéressant à noter. Je chante la grand-messe et y vais de mon petit sermon sur l'Evangile de la Fête des Apôtres Saint Simon et Saint Jude : la préparation de ce petit travail m'a pris les trois derniers jours de la semaine, aussi je m'en tire très bien, mais je sens bien aussi que je n'ai rien du brillant orateur.
Suivant sa bonne habitude, M. le Curé nous invite à aller boire un coup chez lui après les vêpres : on cause un brin ; il est très intéressant ce bon vieux curé, avec son parler un peu embarrassé, son accent alsacien prononcé, mais il parle très couramment notre langue. En 1870, il était au séminaire : il a donc été français avant nous ! Mais il est difficile de voir le fond de sa pensée.


- Lundi, mardi, mercredi 29, 30, 31 octobre 1917 -

Nous menons notre petit train ordinaire de vie, mais de fâcheux incidents viennent en troubler quelques-uns. Les austro-boches infligent une irréparable défaite aux Italiens. Français et Anglais vont leur porter secours : nous pourrions bien être du nombre. Mais pendant les derniers jours, il se confirme que nous allons rester probablement dans le secteur.
Le mercredi soir, coup de théâtre : on nous annonce que nous déménageons demain. C'est pourtant la fête de la Toussaint. Tout était préparé pour solenniser le plus possible cette grande fête. Vraisemblablement nous aurions eu plusieurs communions. Tout cela sera réduit à néant par la mauvaise volonté de ceux qui règlent nos mouvements. On croirait décidément qu'on le fait à dessein de nous faire déménager le dimanche ou les jours de fête. "Fiat voluntas tua" !

À Rougemont.


- Jeudi 1er novembre 1917 -

Mes deux confrères célèbrent la sainte Messe avant de partir. Quant à moi, je me réserve pour la dire en arrivant à notre nouveau cantonnement.
Nous partons à 7 h ¼, le temps est splendide, la marche est aisée ; le paysage est magnifique autour de nous. Nous traversons Bourbach-le-Bas, Sentheim, Lauw et arrivons à
Rougemont(-le-Château) vers 10 h 30. C’est un grand village de près de 3000 âmes ; belle église. Aussitôt arrivé, je vais y célébrer la Sainte Messe. M. le curé nous fait bon accueil : il est à la tête de la paroisse depuis 8 jours seulement, un peu embarrassé par conséquent. Pas un de nos poilus ne peut assister à la sainte messe parce qu’en arrivant ils sont pris de tous côtés. En revanche, les Vêpres attirent  un grand nombre de soldats. Les civils sont nombreux aussi ; la paroisse doit avoir un groupe important d’âmes ferventes. Après le chant des Vêpres des Morts, procession au cimetière suivant la coutume de ce pays. Puis, pendant toute la soirée, chaque deux heures, sonnerie prolongée des quatre cloches qui jettent vers le ciel leur beau carillon et invitent les vivants à penser à leurs morts. Pour demain à 8 h, il est prévu et annoncé grand-messe de Réquiem pour les soldats morts.


- Vendredi 2 novembre 1917 -

M. l’abbé Jouanno célèbre cette grand-messe. Pas de sermon. Chants bien exécutés. Quartier libre dans la journée. Je vais rendre visite à M. l’abbé Couderc à Leval qui est à 1 km seulement de Rougemont. Le soir, salut à 6 h.

- Samedi 3 novembre 1917 -

Rien à noter. On s’aménage dans les cantonnements ; corvées habituelles pour nous.

- Dimanche 4 novembre 1917 -

Grand-messe à 8 h 30. Aux Vêpres, nous nous trouvons réunis, 7 prêtres et 2 séminaristes du régiment. Nous décidons en conséquence de faire ensemble un petit dîner de famille, fixé à 18 h. Nous trouvons ce qu’il nous faut dans une maison particulière. Tout y marche à souhait en effet : à bas prix nous faisons un délicieux repas et surtout nous nous égayons un peu, nous causons.

- Lundi 5 novembre 1917 -

Déjà on fait circuler des bruits de départ : on va retourner, paraît-il, du côté de Rammersmatt.

- Mardi 6 novembre 1917 -

Nous partons en effet demain matin. Notre bataillon ira à Bourbach-le-Bas. Nous préférerions retourner à Rammersmatt.

À Bourbach-le-Bas.


- Mercredi 7 novembre 1917 -

Sainte Messe à 5 h 30. Départ seulement à 7 h 15. Nous arrivons vers 11 h. La pluie tombe après notre arrivée.
Visite à M. le Curé, neveu de celui de Rammersmatt : accueil excellent, nous buvons ensemble un bon verre de Saint-Emilion. Il accède sans difficulté à tous nos désirs, relativement à nos réunions du soir et nos messes du matin. On m’avait pourtant dit qu’il était essentiellement « bochophile ». C’est très possible, vu qu’il est de la nouvelle génération.
Son oncle de Rammersmatt, quoique beaucoup plus âgé, est d’ailleurs animé des mêmes sentiments. On le conçoit jusqu’à un certain point. Ils retiraient – du fait même qu’ils étaient sous la domination de l’Allemagne – des avantages que nous n’avons pas, nous : gros traitement, tranquillité absolue, tandis que nous … Mais au fond, ils semblent trop s’attacher par-là à une question essentiellement matérielle. Du fait qu’ils souffrent moins, ils ne peuvent pas acquérir, semble-t-il, comme les prêtres français, cette qualité spéciale qui devient une sorte de vertu, celle qui s’acquiert par l’épreuve souvent répétée.
Cependant, je dois dire que ces deux prêtres, que je connais spécialement, semblent être d’une vertu et d’une piété exemplaires.
Nous avons donc notre réunion habituelle à 18 h 15. Assistance convenable.

- Jeudi 8 novembre 1917 -

La journée se passe pour nous à aménager les cantonnements et à balayer les rues du village qui sont couvertes de boue. Rien de spécial à noter.
Les nouvelles d’Italie sont brèves et peu encourageantes. Il faut attendre les événements dans le calme et la confiance en Dieu.

- Vendredi 9 novembre 1917 -

Messe à 6 h 30. Corvée le matin et douches l’après-midi. Temps abominable : pluie incessante.

- Samedi 10 novembre 1917 -

Fixation des offices comme précédemment. M. le Curé nous invite à faire diacre et sous-diacre à sa messe de paroisse et aussi à dîner chez lui demain.
En Russie les affaires vont très mal : Kérensky renversé et le pouvoir aux mains des maximalistes.

- Dimanche 11 novembre 1917

Messe militaire à 8 h 30, je la célèbre. M. Sahut veut bien venir nous faire une allocution à 9 h 15. Il vient de prêcher à 8 h 30 à Rammersmatt et va encore prêcher à 11 h à Roderen. Bien belle messe paroissiale, tout marche à la perfection dans ces cérémonies : à noter surtout la présence du suisse qui assure l’ordre avec une perfection absolue. De par des lois spéciales, il peut d’ailleurs punir ceux qui ne se tiennent pas bien, encore de la « bocherie » toute pure, une véritable « férule » qui s’exerce même à l’église. Autre point à noter : le Saint Sacrement étant exposé, personne ne s’assoit. Ils restent donc à genoux durant toute la messe, c’est très fatigant, mais personne ne bronche, c’est de l’ordre, de la discipline. Je ne crois pas que l’on puisse partout l’obtenir en France, même dans les meilleures paroisses.
A 11 h 30 déjeuner copieux et excellent au presbytère. Cuisine alsacienne, bien différente de la nôtre, mais délicieuse. M. le Curé fait les honneurs avec toute la grâce dont il est capable. Il a quelques difficultés pour s’exprimer, mais y arrive tout de même.
Vêpres à 14 h avec diacre et sous-diacre, de nouveau station à genoux. Réunion à 18 h 15 comme d’habitude.


- Lundi 12 novembre 1917

Arrivée de canonniers marins, qui viennent se mettre en position à proximité du village. C’est bien ennuyeux, car on pourrait recevoir des obus destinés aux pièces. Un aumônier en soutane fait partie du groupe.


Carte postale d’Ernest à sa mère et sa sœur Clémence.

+ Ce 12 novembre 1917

Bien chère Maman, chère Clémence,

Deux mots seulement pour vous dire que je vais toujours pour le mieux : dans le petit village que vous voyez de là-bas, nous ne sommes pas trop mal. L’été de la St Martin semble avoir commencé depuis hier, où c’était sa fête. Tant mieux, car on était fatigués du mauvais temps. On a fait hier de très belles cérémonies dans notre petit village : grand-messe avec diacre et sous-diacre, vêpres de même, avec suisse, enfants de chœur très dressés, etc. Il faut venir ici pour voir de si belles cérémonies dans de si petits pays. M. le Curé nous a invités, les 3 prêtres du bataillon, à dîner chez lui : il nous a bien soignés, je vous assure. Vive l’Alsace, malgré tout, et puissions-nous la garder pour toujours !
Je vous embrasse bien affectueusement.     Ernest.



- Mardi 13 et mercredi 14 novembre 1917

Rien de spécial à noter. En Russie, Kerensky triomphe de nouveau. Je souhaite que son succès soit durable et efficace ! On ne peut guère y compter…
Bonne « causette » avec M. l’aumônier des canonniers. Le temps est beau. Avec le père Jouanno nous allons visiter Bourbach-le-Haut. Quel beau petit coin ! Quelles vallées charmantes nous traversons pour y aller ! Le village est éparpillé au point de jonction de plusieurs ravins, au flanc de la montagne. Les maisons blanchies à la chaux se détachent d’une façon admirable du vert tendre des vergers qui les entourent. Eglise coquette sur le modèle commun à toutes celles de la région. Très belles orgues. Le soir, prière et bénédiction comme d’habitude.


- Jeudi 15 novembre 1917

Rien de saillant : journée ensoleillée. Le soir, voyage à Rammersmatt, visite à M. le Curé qui nous fait toujours l’accueil le plus aimable.

- Vendredi 16 et samedi 17 novembre 1917

Le bruit court déjà aujourd’hui samedi que nous partons demain matin et tout le monde de s’écrier : c’était certain puisque c’est dimanche ! … Heureusement que des ordres plus précis arrivent vers midi : nous ne monterons que lundi matin. Seul, le 2e bataillon monte en ligne demain.
Je vais tout de suite dans l’après-midi reconnaître les postes que nous devons occuper ainsi que les lignes : voyage à bicyclette. M. Fontan veut bien m’accompagner. Nous allons ainsi jusqu’à 1500 m environ des lignes, exactement jusqu’au moulin de Schuller où se trouve le P. C. . De là en ( ?) lignes, où se trouvent 2 postes de brancardiers : le 1 er à la gare de Burnhaupt (*), le 2 e au lieu-dit «les Carrières », anciennes carrières de sable auxquelles aboutit encore un embranchement de la voie ferrée. Lignes et boyaux d’aspect archaïque,

on voit que le bombardement n’a jamais fait rage par-là, tout tombe de vétusté. L’aménagement est bon cependant : abris secs, mais pas très solides, boyaux et tranchées bien organisés grâce aux caillebotis. Chaque bataillon tient un front de plus d’un kilomètre : une compagnie seule tient tout ce front, deux sont en réserve un peu en arrière.
(*) De nos jours, Burnhaupt est au bord de l’autoroute, entre Belfort et Mulhouse.



- Dimanche 18 novembre 1917

Nos offices ont lieu comme à l’ordinaire. A notre messe militaire de 8 h 30, M. l’aumônier des canonniers marins nous adresse la parole ; très intéressant, il nous parle à propos de la dédicace des églises, de nos églises, de nos cérémonies, du culte que nous devons avoir pour tout ce qui a trait à notre Sainte religion. En passant, il donne quelques bons coups de griffe aux Boches qui eux n’ont pas respecté nos églises. Dans la soirée, préparatifs de départ. Nous allons assister aux vêpres de Rammersmatt où M. le curé nous reçoit très bien suivant son habitude.


Suite : Alsace #2.

 
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