Mort-Homme - 1 - 96e R.I. - 2e Bataillon - du 28 février au 25 mars 1917. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

Aller au contenu

Menu principal :

Mort-Homme - 1 - 96e R.I. - 2e Bataillon - du 28 février au 25 mars 1917.

1917 > Cote 304/Mort-Homme

Retour à la page précédente :  cinquième permission.

- Mercredi 28 février 1917 -

Arrivée à Orléans vers 6 h du matin. Marche très lente jusqu’à Jessain où nous arrivons vers 17 h. Départ pour Révigny vers 18 h. Nous arrivons à 22 h 30 environ à Révigny. Puis nous attendons dans un cantonnement « ad-hoc » le départ de notre train direction Verdun, qui part à 2 h 40. Arrivée à Lemmes à 9 h.

Montée au front.

- Jeudi 1er mars 1917 –

Nous voilà partis aussitôt à la recherche du régiment : nous nous dirigeons par Vadelaincourt et Rampont vers le camp des Clairs Chênes où nous trouvons le 3e bataillon du 96e. Nous apprenons que le 2e bataillon est en ligne au Mort-Homme. Nous nous rendons à Fromeréville(-les-Vallons) où se trouvent les cuisines de notre bataillon. Là on nous dit que nous ne partirons que demain au soir pour les lignes avec le ravitaillement.
Nous passons une bonne nuit au village qui n’est pas trop détruit. L’église toutefois est complètement dévastée. Les habitants n’ont dû évacuer le village que depuis l’offensive boche de Verdun ;

l’existence du mobilier en assez bon état encore dans les maisons l’atteste.


- Vendredi 2 mars 1917 -

Sainte Messe à 7 h 30 à la chapelle provisoire du village. Je salue M. Birot aumônier de la division. Journée ensoleillée, effroyable dégel. Départ à 17 h pour les lignes : elles sont bien au moins à 16 km. Les voitures arrivent jusqu’au P.C. du colonel. On passe par Montzéville. Nous ne recevons pas d’obus. Plusieurs fusants éclatent dans le ravin où doivent passer les corvées : aussi ce passage est franchi à une allure très vive.

En ligne
, je trouve un bon poste de refuge avec médecin auxiliaire et l’équipe de la compagnie. J’y passe une bonne nuit de repos.


- Samedi 3 mars 1917 -

Je ne puis à mon grand regret célébrer le Saint Sacrifice n’ayant pas apporté

mon autel et ne pouvant pas sortir de mon abri pendant le jour pour aller au 81 e où j’aurais pu trouver le nécessaire.
C’est une privation dont je vais souffrir pendant les 3 jours que nous avons encore à passer en ligne.

Bombes et obus dans la journée, mais les poilus sont terrés dans des sapes assez profondes mais trop petites. Seuls deux hommes par section veillent pendant le jour.
Le soir à 8 h je monte en 1ère ligne pour y prendre le service pendant 24 h ; je visite le secteur qui est très calme : beau clair de lune, froid assez vif. Dans l’abri on ne dort guère car on est obligé de s’y tenir pliés en quatre.

- Dimanche 4 mars 1917 -

Rien de spécial à signaler, sauf un bombardement assez violent de torpilles boches dont l’éclatement ébranle l’abri. Je suis relevé le soir vers 8 h.

- Lundi 5 mars 1917 -

Journée calme. Rien à noter.


Situation générale du front de Verdun au début de 1917.

( don du site Internet "Chtimiste" )

Repos au Camp des Clairs Chênes.

Le soir vers 23 h relève par le 3e bataillon. Beau clair de lune, mais c’est très calme. A Montzéville, on allège un peu notre sac. Nous arrivons au Camp des « Clairs Chênes » à l’est de Dombasles vers 5 h 30 au petit jour bien fatigués, aussi je n’ai pas le courage de célébrer le Saint Sacrifice, n’ayant pas sous la main mon autel ni un lieu propice. Dans l’après-midi, je vois l’abbé Tersydu 81e.

- Mardi 6 mars 1917 -

Sainte Messe vers 7 h dans une gentille petite chapelle fort bien aménagée. Journée ensoleillée, mais la boue gluante et profonde abonde dans notre camp. Je suis heureux de pouvoir me recueillir dans la journée dans notre petite chapelle et d’y réciter le Saint-Office.

- Mercredi 7 mars 1917 -

Rien de spécial à noter. La neige se met à tomber à gros flocons, la température baisse, bien triste temps surtout pour ceux qui sont en ligne.

- Jeudi 8 mars 1917 -

Très violent bombardement pendant toute la soirée du côté de la Cote 304. Nous ne savons pas ce qui s’y passe.

Lettre de Estéveny à Ernest Olivié

Lettre à en-tête : « PLACE DE MAZAMET … REUNION DES OFFICIERS …     Mazamet le »  8 mars 1917

Mon bien cher Ernest


 Je profite d’un après-midi de mauvais temps pour causer avec toi. Il m’en coûte toujours un peu – je te l’avoue en toute franchise – de faire des lettres … ou plutôt de m’y mettre, car une fois que j’y suis, j’y prends un réel plaisir. Tandis que ma plume court sur le papier blanc, je te vois par un effet de l’imagination, là devant moi, tel que je t’ai connu ; je t’interroge, tu me réponds, je fais revivre le passé qui nous a trouvés réunis, des belles heures que nous avons passées ensemble, et l’enchantement se prolonge tant que durent les quatre pages sous la plume dévorante…
Je voudrais pouvoir te donner une brassée de nouvelles de tous les confrères, mais je ne sais rien de nouveau à leur sujet. Les lettres de Privat se font rares et courtes depuis quelque temps, alors que jadis elles étaient si vivantes et si rapprochées. Celles de Poujol deviennent encore plus espacées depuis qu’elles ont la Méditerranée à traverser. Seul Grialou, qui ne m’écrivait jamais auparavant, m’adresse d’intéressantes causeries depuis que la mort de Cros nous a remis en relation.
Quant à moi, rien de saillant. J’attends toujours qu’on veuille bien faire appel à mes services pour la défense de la France : on n’a pas l’air pressé. Et tandis que je temporise ici dans les délices ( ? Quels délices ! ! !) de l’arrière, ma réputation d’embusqué est en train de s’affermir. Je le suppose du moins, connaissant par expérience déjà la charité ( ?) de certaines personnes, et l’amabilité ( ?) de certaines bonnes ( ?) langues. Je viens d’écrire à mon directeur pour lui demander à ce sujet une ligne de conduite. Dois-je attendre que mes supérieurs me fassent partir, à mon tour, ou bien en vue de mon ministère à venir, dois-je solliciter de repartir
sur le champ ? J’agirai selon ses conseils… Mais que Dieu m’en donne la force ! Prie un peu pour moi à cette intention, cher brave ami …
 Depuis quelque temps, j’avais un travail assez intéressant : je dressais les élèves aspirants de toute la 16e région, j’en avais une cinquantaine. Un peu rude, cette tâche, mais au fond très attrayante. Maintenant qu’à peu près tous ont été reçus et sont entrés à l’école d’où ils sortiront aspirants en quelques mois, me voici à nouveau à la compagnie, où je rabâche toujours les mêmes choses à de pauvres soldats dégoûtés ou crétins presque tous. J’ai plus de loisirs, mais j’y prends moins de plaisir.
 Je suis très content pour vous qui n’avez que des abris sommaires d’assister à l’agonie de l’hiver : avec les beaux jours, la vie au front devient supportable au moins.
Oremus devote pro invicens. Je t’embrasse en N.S.

Estéveny




- Vendredi 9 mars 1917 -

Le 81e remonte en ligne ce soir. Dans l’après-midi, violent bombardement plus éloigné qu’hier soir. Un avion tente d’incendier la  « saucisse » (1) qui se trouve à Dombasle, nos canons le chassent.

(1) ballon attaché à un câble dans lequel prenait place un observateur


- Samedi 10 mars 1917 -

M. Dufeux rentre de permission. Il organise les offices pour la journée de demain : 2 messes basses à la petite chapelle du camp à 6 h 30 et 7 h. Grand-messe à la salle de réunion du camp à 9 h. C’est aussi dans cette salle que se font, théoriquement du moins, les réunions pour le culte protestant. Je ne sais si l’assistance est nombreuse. Temps très mauvais.


- Dimanche 11 mars 1917 -

Messes basses sans assistant, c’est presque lamentable. En revanche, la grand-messe attire un nombre respectable de poilus du 81e et du 96e. Sermon de M. Dufeux, chants bien exécutés.

Lettre de Marie FOUCRAS soeur d'Adrien (tué en août 1916) et de Joseph (prisonnier en Allemagne).

J.M.J.   Lardeyrolles        11 mars 17 par Sauveterre d’Aveyron

Cher monsieur l’abbé,

Nous venons de recevoir les petits « souvenirs » que nous nous étions procurés lors de la mort  prématurée de mon pauvre et bien regretté frère, et que nous avions cédés à nouveau pour y faire joindre une petite photo. Je m’empresse de vous en remettre un, alors même que je sais que vous n’avez nul besoin de cela pour conserver son souvenir ; je sais qu’il (est) pour vous comme pour nous inoubliable.
 Quant à mon jeune frère prisonnier (
note : Joseph), nous en avons des nouvelles ordinairement toutes les semaines, il est guéri de sa blessure à la joue ; il est depuis lors dans un camp ; camp de Münsingen dans le Württemberg. On lui envoie des provisions toutes les semaines, on a presque peine à se rendre compte si vraiment tous les paquets lui parviennent mais il nous assure cependant que les réceptions sont très suffisantes. A notre grande joie, il peut même entendre la messe quelquefois, recevoir les sacrements, ainsi il en a été à la Noël, et maintes autres fois.
 Qu’en est-il de vous, cher monsieur l’abbé ? Allez-vous bien ? Je le souhaite de tout cœur ! Oui, nous souhaitons tous ardemment que le bon Dieu vous épargne et vous conserve sain et sauf, qu’il adoucisse même votre vie ; soit en améliorant votre situation militaire ou par d’autres moyens, que sais-je. Combien vous avez dû souffrir pendant ce long hiver si mauvais, aussi bien des fois notre pensée se portait vers vous comme vers tant de milliers de soldats qui devaient souffrir énormément tandis qu’on était au coin du feu.
 Daigne le Dieu Tout-Puissant qui compte tout avoir égard à tant de souffrances et à tant de sang versé, nous donner bientôt une paix victorieuse.
 Enfin bon courage toujours, cher monsieur l’abbé, et en vous demandant de continuer le pieux souvenir de notre cher et bien regretté défunt et de sa famille ; je vous donne l’assurance que de notre côté nous ne vous oublions pas.
 Et daignez agréer nos sentiments respectueux et reconnaissants.

Marie Foucras


Montée en 2e ligne.

Dans l’après-midi, préparatifs pour remonter en 2e ligne. Départ à 17 h. Pas d’incident ni d’accident en cours de route. Ma compagnie reste en réserve au P.C. du colonel à 1500 m des lignes au moins. On n’y est pas trop mal logés.

- Lundi 12 mars 1917 -

Sainte Messe à la salle à manger des officiers de la 5e Compagnie. Rien à faire de la journée. Le soir, travaux de terrassement dans un boyau. Départ à 21 h pour rentrer à 3 h du matin. Je suis la compagnie au travail.

- Mardi 13 mars 1917 -

Rien de spécial à noter.

- Mercredi 14 mars 1917 -

Sainte Messe à 8 h. Très mauvais temps pendant le jour. Beaucoup de boue. Au travail le soir.
Bombardement répété des lignes boches par notre artillerie. Riposte faible.

- Jeudi 15 mars 1917 -

Rien de spécial. Les Anglais font toujours des progrès dans la Somme. En Mésopotamie, ils entrent dans Bagdad couvrant 180 km (?) en 15 jours. En Russie, commencement de révoltes populaires.

- Vendredi 16 mars 1917 -

Le soir, je ne vais pas au travail. Avance notable des Anglais à gauche de Bapaume.

- Samedi 17 mars 1917 -

Les journaux nous annoncent que le mouvement révolutionnaire de Pétrograd s'est terminé par un changement de gouvernement : démission du tzar Nicolas II, changement des membres de la Douma. Il semble que le mouvement ait été provoqué plutôt par l'incurie des dirigeants que par la crise économique elle-même. D'après les journaux on s'est appliqué à balayer de la tête de l'empire tout ce qui constituait pour ainsi dire l'élément germanophile avec la tzarine Marie en tête. Tous ces agents plus ou moins bochophiles risquaient fort de compromettre l’œuvre de l'armée russe : on s'en débarrasse !

- Dimanche 18 mars 1917 -

Sainte Messe à 10 h 30. M. Dufeux dit la sienne chez le colonel à 9 h 30. Petite assistance à l'une comme à l'autre. Du reste les locaux sont exigus.
Les journaux nous annoncent qu'un zeppelin boche a été abattu par notre artillerie à Compiègne. Les Français ont fait dans l'Oise une avance de 3 ou 400 m sur un front de 20 km, marchant de pair avec les Anglais.

Vers 10 h, l'artillerie boche devient très active. Elle tire surtout en arrière sur l'artillerie. Vers 10 h 30, le feu se concentre sur les lignes, ça devient sérieux. Notre artillerie riposte vivement. C'est quelque chose d'infernal pendant que j'écris ces lignes ; nous nous tenons prêts à partir. Entre temps, je récite mon Office, demandant à Dieu, par l'intermédiaire de saint Joseph, dont nous faisons la fête demain, de préserver de la mort le plus grand nombre de pauvres poilus qui sont sous la mitraille en ce moment ; surtout qu'il daigne faire naître des sentiments chrétiens dans l'âme de ceux qui risquent de paraître à son jugement.
Je songe avec émotion que demain est l'heureux jour anniversaire de mon ordination sacerdotale. Il y a 2 ans seulement que Dieu me fit la grâce immense de me faire son prêtre : aurai-je seulement le temps de penser à tout cela ? Pourrai-je surtout célébrer le Saint-Sacrifice demain, car ce soir nous montons en ligne et qui sait si nous allons tous en redescendre ?

Tandis que vers 15 h le bombardement est furieux et que nous sommes alertés, on nous apprend que nous n'allons pas monter en ligne ce soir à cause du bombardement : la relève n'aura lieu que demain.
Vers 18 h, on apprend que les Boches ont fait une attaque avec liquides enflammés sur notre compagnie de gauche et à la Cote 304 en même temps. Vers 20 h, je monte en ligne (P.S. Netter) pour prendre des blessés : 11e Compagnie. Nous faisons un 2e voyage de Gers au P.S.C. A minuit seulement tous les blessés sont descendus, nous pouvons dormir. Le calme s'est rétabli, mais les Boches arrosent un peu partout de leurs grosses marmites.

- Lundi 19 mars 1917 -

Journée assez calme, et belle par-dessus le marché. Vers 3 h du soir, bombardement furieux sur 304. On dit que ce sont les nôtres qui contre-attaquent pour reprendre le morceau de tranchée perdu la veille (333e d'Infanterie). On ajoute même un peu plus tard qu'on n'y a pas réussi. C'est calme pour monter en ligne le soir. La relève se fait sans incident.

- Mardi 20 mars 1917 -

Je ne puis célébrer la Sainte Messe, ma chapelle étant entre les mains de l'abbé Ressiguier. Journée tranquille. Vers 9 h du soir, 7 ou 8 blessés, tous du 1er Hussards ; c'est nous qui devons les évacuer car ils n'ont pas de poste de secours, un tué parmi eux. J'accompagne le convoi des blessés au poste de Gers : dure besogne, car les hussards qui les transportent ont bien du mal à se tirer d'affaire. Je rentre vers 2 h.

- Mercredi 21 mars 1917 -

A 9 h, je célèbre la Sainte Messe au P.S. même. Journée calme.

- Jeudi 22 mars 1917 -

Un petit blessé par éclat de bombe à la 5e Compagnie.

- Vendredi 23 mars 1917 -

Rien à noter pour la journée. A 22 h 30 après récitation des Vêpres, comme j'ai l'habitude de le faire chaque soir, je me couche.
Demi-heure après, on annonce des blessés chez les hussards : ils commencent déjà d'arriver : il y en a 8 dont quelques-uns très grièvement, 2 autres sont morts. Les Boches ont tenté un coup de main sur l'un de leurs postes. Bien reçus par nos cavaliers, à 3 reprises différentes ils sont revenus à la charge, repoussés à chaque coup, laissant des morts dans les fils de fer. A la 3e tentative, l'un d'eux est désarmé par un hussard, mais avant, il a perforé la main de celui-ci d'un coup de poignard, aussi il a été tué. Furieux de leur échec, les Boches ont envoyé quantité de bombes qui ont fait des victimes parmi les hussards. Au petit jour vers 4 h 30, tous étaient réunis au P. S. C. Au retour je dis la Sainte Messe.

- Samedi 24 mars 1917 -

Rien de spécial à noter. Tout se passe normalement.

- Dimanche 25 mars 1917 -

Je dis la Sainte Messe à 8 h chez le capitaine, à son intention du reste. Temps splendide. A noter que j'ai passé ma chapelle à l'abbé Ressiguier pour qu'il puisse dire la Sainte Messe chez lui.
Un avion français est descendu près de la Cote 304. Bombardement dans la même région le soir vers 8 h, au moment où je me rendais au P.S. du Gers. Pas de victime chez nous.


Suite du récit : Mort-Homme #2.

 
Retourner au contenu | Retourner au menu