Forêt d'Argonne - 3 - 96e R.I.- 5e Cie. - La guerre des mines - décembre 1916. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Forêt d'Argonne - 3 - 96e R.I.- 5e Cie. - La guerre des mines - décembre 1916.

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Aux abris Baudot.

- Jeudi 30 novembre 1916  -

Relève vers midi. Ma compagnie reste en réserve aux abris Baudot, tandis que les deux autres se rendent à Monhoven. A Baudot l’installation n’est pas trop mauvaise. Visite à M. Sahut dans la soirée. Rien de spécial.

- Vendredi 1er décembre 1916 -

Sainte Messe à 6 h 30 avec quelques assistants. Travaux de propreté. Ouverture des travaux d’aménagement de notre chapelle, que le colonel veut transformer en salle de lecture et d’écriture ; elle servira aux deux usages et, du reste, ce sera une sorte de cercle sous la surveillance d’un prêtre soldat.


Lettre d'Eugénie à son frère Ernest.

Toulouse le 1 décembre 1916


Mon cher Frère,

Voilà plusieurs jours que j'ai reçu ton aimable lettre à laquelle je n'ai pas encore répondu, plutôt par négligence que par manque de temps, car les veillées sont longues maintenant..

… La seule chose qui importe en ce moment, c'est de voir une éclaircie dans un ciel si obscur, mais rien, rien, pas le moindre indice d'une fin prochaine de cette maudite guerre. Et penser à tout ce que vous souffrez tous par ces intempéries de saison, sans compter le danger permanent auquel vous êtes exposés. Non, vois-tu, il y a de quoi devenir fou. Et dire qu'à Toulouse on voit les gens faire queue aux théâtres, aux cinémas. Partout on s'amuse, et des toilettes, mon Dieu, à faire frémir ! Tandis que c'est pitié de voir les offices avec peu de monde, les églises désertes, tandis qu'en début de guerre tout le monde priait. Beaucoup de ceux qui ne le faisaient plus depuis longtemps, s'y étaient remis, et maintenant on néglige tout cela, le Bon Dieu n'a pas écouté, on se lasse, voilà bien le moyen pour qu'il nous exauce...
J'ai toujours de bonnes nouvelles de Louis ; ils ont passé 20 jours de repos. Ils sont revenus au sud de la Somme, où ils sont assez marmités. Il compte revenir au mois de janvier.

J'écris à Marius en même temps qu'à toi, en y envoyant 5 frs, le pauvre petit ne sait pas trop ce qu'on va faire de lui en le relevant de son emploi.
De Baptiste je n'ai pas eu de nouvelles depuis bien longtemps.
Et toi, mon cher Ernest, le mauvais temps ne t'éprouve-t-il pas trop ? Ici il pleut depuis 2 jours à torrents, la Garonne grossit à vue d’œil. Tante, et Marie que j'ai vue ce soir, t'envoient leur bonjour et te font dire qu'elles vont bien, Tante est bien un peu grippée. Maman m'a envoyé des châtaignes et haricots, je vais lui envoyer un peu de café et sucre, qui doivent être rares chez nous.
Les fillettes t'envoient mille caresses et s'unissent à moi pour t'embrasser.

Ta sœur.      Eugénie.


- Samedi 2 décembre 1916 -

Sainte Messe à la même heure. Démarches ordinaires chez le commandant et le colonel pour l’indication de l’heure des offices. Messe basse à 6 h 30, grand-messe à 9 h.

- Dimanche 3 décembre 1916 -

Plusieurs communions à la messe de 6 h 30, notamment celle du commandant du 2e bataillon. M. l’abbé Fontan célèbre cette messe. A 9 h je chante moi-même la grand-messe. Assistance plus qu’ordinaire. La solennité de ce jour :  1 er dimanche de l’Avent, m’engage à adresser à l’auditoire un petit sermon pour les engager à se préparer dès à présent à la grande fête de Noël.
J’ai omis de signaler qu’une mine boche a explosé dans le secteur du bataillon causant beaucoup de dégâts matériels, mais, grâce à Dieu, point de victimes. Bombardement continu pendant la journée d’engins de tranchée principalement. Dans l’après-midi, j’ai la grande joie de recevoir la visite de mon ami l’abbé Estivals du 122 e, nous passons quelques bonnes heures ensemble et causons de mille choses intéressantes. Dans la nuit, vers 10 h les Boches bombardent notre camp, mais sans causer de dégâts.

- Lundi 4 décembre 1916 -

Rien de spécial à noter, sauf les insuccès de nos alliés roumains qui reculent à tire d’aile dans la direction de Bucarest, sous la brutale poussée des Germano-Bulgares.


- Mardi 5 décembre 1916 -

Travaux ordinaires à la chapelle qui petit à petit se transforme.

- Mercredi 6 décembre 1916 -

Relève du bataillon qui est en ligne par le 1er, le 2e remontant de Monhoven. Je m’installe avec mon collègue brancardier au P. S. ( Poste de Secours ) de Baudot où je jouis d’une grande tranquillité relativement à celle que j’avais dans mon escouade.

- Jeudi 7 décembre 1916 -

Rien de spécial à signaler. Je remplis les fonctions d’infirmier pour la visite qui se passe chaque matin à notre poste et, ma foi, je ne suis pas fort au courant de toute cette pharmacie. Mais petit à petit je me forme. Journée calme. Nous nous chauffons toute la journée, lisant et écrivant.

- Vendredi 8 et samedi 9 décembre 1916 -

Rien de spécial. Journées sombres et pluvieuses.

- Dimanche 10 décembre 1916 -

Je célèbre la Sainte Messe à 6 h 30 à notre chapelle : 3 ou 4 communions. A 7 h, M. Ressiguier dit la sienne. A 9 h, grand-messe : belle assistance. M. Duffeux ( voir Dufeu ) la célèbre suivant le rite des chartreux : à la fin de la messe, il nous adresse la parole, il nous parle de l’Immaculée Conception dont nous célébrions la fête jeudi.



Lettre de Labadie à Ernest Olivié ( copie d'une lettre au ton moqueur, dont Jean-Antoine Estéveny est le premier auteur )

Ce 10 déc. 1916

Mon cher ami.


J’ai une nouvelle à t’annoncer, tu aurais beau creuser tes méninges, tu ne trouverais jamais.
Je te reproduis la conversation du Supérieur du Grand Séminaire de Rodez avec M. As-Pla-Cagat (*) (Te rappelles-tu de ce type ?), que vient de m’envoyer Grialou, l’ayant reçue lui-même d’Estéveny.
« As pla Cagat était aspirant depuis quelques temps.  Il avait été blessé.  Il avait séjourné à l’hôpital quelque autre temps et il est au dépôt depuis quelques jours.
Dès son arrivée, il va trouver M. le Supérieur (comme il se doit faire). Roucoulements, information sur l’état de santé … etc. …
Lui : … Oui M. le Supérieur – seulement il y a quelque chose … de … nouveau … de … changé en moi …
Le Sup. : Ah ! …et en quoi donc mon cher ami ?

Lui (pas trop gêné) : J’étais à l’hôpital
Le Sup. : Oui
Lui : quand mon frère s’est marié.
Le Sup. : Bien – C’est bien
Lui : J’ai été à sa noce
Le Sup. (fronçant le sourcil, pinçant les narines, grattant le front de l’index droit) : Oh !
Lui : Et là, j’ai fait la connaissance de la belle-sœur de mon frère.
Le Sup. (écarquille les yeux de plus en plus) …
Lui : Puis je suis retourné à l’hôpital.
Le Sup. (soulagé visiblement) : Bien.
Lui : Son souvenir m’a poursuivi, je me suis aperçu que j’avais pour elle une inclination marquée …
Le Sup. (redevenant gêné) : Hum ! mon Dieu !
Lui : Et les lettres qu’elle m’a écrites m’ont prouvé qu’elle avait pour moi un sentiment analogue.
Le Sup. (in petto : c’est plus grave, où veut-il en venir ?)
Lui  (tout d’un coup ses paroles coulent comme l’eau jaillit d’un réservoir qui déborde) : Et alors, quand j’ai vu ça, nous nous sommes mariés.
Stupeur, silence, gêne, faut-il rire, faut-il pleurer ?
Le Sup. se ressaisit assez vite et le félicite (s’il se peut dire).
J’ai été très bien reçu, poursuit-il, l’an passé, ici au séminaire. Ma femme et moi, nous serions très contents si vous pouviez me recevoir cette fois-ci encore – me prêter une chambre – m’accepter à table.
Tu parles s’il a été poliment éconduit. Et bien, mon cher Olivié, que penses-tu de ce phénomène d’  « As pla cagat » ? C’est un type débrouillard, hein ? Peut-être n’est-il marié que « quo tempore lulli ».
Adieu et bonne chance ! Ici rien de nouveau. Je vais partir en perme pour la Noël. Santé bonne.
Mes bons souvenirs à l’abbé Ressiguier.
Bien à toi.      
Signé : Labadie.

(*) As pla cagat : en langue d’oc :  « Tu as bien chié » !!!

- Lundi 11 décembre 1916 -


Au front.


Nous montons en ligne pour relever le 1er bataillon. On avance d’un jour cette relève à cause de la reddition volontaire d’un soldat du 2e bataillon aux Boches, de peur qu’il n’ait indiqué à ceux-ci le jour de la relève, on veut les tromper. Je reste au poste de secours. Temps pluvieux et sombre : c’est peu engageant pour les pauvres poilus car la boue abonde.
Et puis l’invasion de la Roumanie par les Boches altère leur moral. Un changement brusque dans notre gouvernement laisse croire aussi qu’il y a désarroi.


- Mardi 12 décembre 1916 -

Sainte Messe vers 5 h. Journée assez calme. Pas de blessés.

Lettre de Marius à Ernest      Ce 12 décembre 1916.
      Cher frère,

Je réponds à ton aimable lettre qui m'a fait un très grand plaisir. Je n'avais pas l'habitude de les attendre si longtemps, quoique je ne compte pas toujours ce que je te fais attendre moi-même, mais moi comprends-tu, c'est pas la même chose, je suis un embusqué. Y a pas grand danger, c'est rien qu'un hasard, quoiqu'on soit toujours pas mal avancé. Je pense qu'ils vont s'en tenir là pour la relève. Y en a 11 de partis, ça m'a foutu le cafard, ces bleus crânant comme tout. Y en a qui sont un peu plus costauds que ceux qui sont partis, c'est dégoûtant de voir ce favoritisme. Enfin je crois qu'on va s'en tenir là pour l'instant dans les ambulances divisionnaires où on a la chance de passer à (...?) ce qui n'est après tout pas bien mauvais. Je vois les nôtres, ils ont souffert à Verdun, mais ici ils sont mieux que nous.
En voilà assez sur ce chapitre. Ne crois pas que c'est la frousse qui me fait loquace, surtout pourvu que je m'en sorte avec toi, tu sais bien qu'on est tous condamnés.
Voilà ma perme qui arrive à grand pas le 10 janvier. Je vais passer 2 jours à Toulouse ...
Je te remercie fort de la (fusée ?) et des bretelles ; je ne sais pas si je ferai un encrier pour Marie. J'ai un rond de serviette pour chacune. Tu parles d'un boulot, j'y passe pas mal de veillées, je fais tout en relief, je me plante quelques burins dans les mains, mais ça ne me décourage pas.
Tu voudras bien m'envoyer l'adresse de Louis Fournil. Je ne corresponds pas directement avec lui, c'est très ennuyeux.
Bonne santé et bon espoir.    Je t'embrasse tendrement.  

Marius.

- Mercredi 13 décembre 1916 -

Nous apprenons que la division va changer de secteur en appuyant de 4 ou 5 km vers la droite, du côté de Vauquois. La raison de ce changement ne nous est pas indiquée.

- Jeudi 14 décembre 1916 -

Rien de spécial à noter en dehors d’un petit bombardement boche qui grâce à Dieu ne nous fait aucun mal.




- Vendredi 15 décembre 1916  -

Le génie fait une rencontre inattendue avec les Boches en creusant une mine chacun de son côté. Tout se passe bien pour nous et les Boches déguerpissent.


- Samedi 16 décembre 1916  -

On apprend que les Français ont remporté une grande victoire à Verdun : avance de 3 km sur un front de 10 ; prise de 9000 prisonniers et de plus de 80 canons. C’est une belle réponse à une proposition de paix faite depuis 2 jours par le Kaiser aux puissances belligérantes par l’intermédiaire de nations neutres. Naturellement c’était une paix humiliante pour les alliés, aussi on l’a rejeté bien loin.

- Dimanche 17 décembre 1916  -

Sainte Messe à 7 h au tunnel. Rien de spécial à noter pour le restant de la journée. Canonnade violente entendue du côté de Verdun. Un froid

plus vif se fait sentir, mais la pluie disparaît. Notre 1er bataillon va déjà prendre ses nouveaux emplacements dans la plaine de Boureuilles.


Lundi 18 décembre 1916  -

Relève vers midi. Dégel. Beaucoup de boue. Nous allons nous installer aux abris Baudot où nous resterons 2 jours seulement.


Lettre de L. Poujol à Ernest Olivié.

+  18 - X bre - 16

Bien cher Ernest


Sais-tu où est venue me trouver ta lettre du 25 9bre ? Elle faisait partie de mon premier courrier reçu en terre étrangère le 14 au soir. Nous étions arrivés le matin même dans le port de Salonique. Quelques courts détails sur mon voyage te feront sans doute plaisir.

Nous n'avons pas fait long feu à Marseille : juste de quoi visiter la ville.


Le 2 nous avons embarqué à bord du "Soutay", magnifique unité des Messageries Maritimes. Le même soir à 18 heures, nous levions l'ancre. Notre voyage a duré 12 jours y compris 3 jours d'escale à Malte. Le matin du 3 nous avons failli être coulés : un cargo anglais qui nous a devancés a payé pour nous. Nous avons longé les côtes orientales de Corse et de Sardaigne, de Tunisie. A Malte, nous avons vu La Valette mais du bord seulement. Inutile de te dire que ce fut assez intéressant quoiqu’un peu long. La mer fut constamment bonne, aussi je n'eus à peu près pas de mal de mer. Le temps fut d'une douceur printanière. Nous avons laissé Candie à droite,

puis avons traversé le fouillis d'îles de l'archipel, et avons débarqué enfin dans cette fameuse Salonique. C'est une ville à voir en ce moment. Elle a belle apparence mais il faut se tenir un peu loin ! à la mode orientale elle est un peu sale ! Oh ! ces descendants des illustres Grecs d'autrefois !  C'est piteux mon cher ...
Depuis le 15 nous sommes cantonnés au camp de Zeitenlik, en plein champ, sous les tentes individuelles. Nourriture la même qu'en France. Climat de mai chez nous. En somme jusqu'ici, rien de pénible que nous ne connaissions. Je n'ai jamais craint cette campagne. Je m'attends pourtant à de rudes journées dès que nous monterons du côté du front.
Excuse mon papier, ma brièveté ! Je t'écris sous un marabout qui sert d'infirmerie, donc relativement bien installé.

J'aurais tant de choses à te dire. Bornons-nous : à plus tard ici-bas ou là-haut d'autres détails. Je conserve mon courage habituel.

Donne de tes nouvelles. Resserrons-nous de cœur puisque nos corps sont un peu éloignés ! Je t'embrasse bien affectueusement en N.S.


Bonne et heureuse 1917 !                                     L.Poujol.

- Mardi 19 décembre 1916  -

Sainte Messe chez M. Sahut. Rien de spécial pour la journée. Très beau temps.

- Mercredi 20 décembre 1916  -


Je suis autorisé dans l’après-midi à me rendre au camp de Monhoven pour y prendre quelques objets laissés à la chapelle. Visite au cimetière où je prie sur la tombe de quelques camarades du 322 e tués dans le secteur et sur celle du bon  père Guiraud du 81e. Visite aux divisionnaires (Redoulès, …). Rencontre de mon cousin  lt Fr. Ferriol du 342 e qui va relever le 122 e. Nous causons quelques minutes seulement ensemble. Plus rien à noter.

Auzeville-en-Argonne.


- Jeudi 21 décembre 1916  -

Sainte Messe chez M. Sahut. Nous partons pour Auzeville vers midi, bien encombrés. En route la pluie se met à tomber. 18 km au moins par les Islettes, Clermont et Auzeville (Auzeville-en-Argonne, quelques km à l’est de Clermont).

Nous arrivons vers 16 h. Village très animé mais à moitié ruiné par les Boches. Nous sommes cantonnés dans les granges. Impossible d’assister à la réunion qui se fait à l’église à 5 h 30 du soir, la soupe se mange juste à cette heure-là. Visite à l’église un peu plus tard, belle et splendide, propre et richement ornée, on y est vraiment bien pour prier d’autant mieux que voilà bien trois mois que nous n’avons pas mis les pieds dans une église véritable.

Lettre de  Grialou à Ernest Olivié.

+ le 21 décembre 1916

Bien cher Olivié


  Voilà en effet quelques temps que je ne t’ai pas donné de mes nouvelles ; ta lettre du 12 me le rappelle, aussi je me rends immédiatement à tes désirs.
Tu m’envoies en même temps la lettre de Labadie. Mais comme il te le dit, c’est l’exacte copie de celle que m’écrivait Estéveny, et que j’avais moi-même envoyée à Labadie pour le distraire. Tu ne soupçonnais peut-être pas ce fin talent de psychologue et de conteur de notre brave ami Estéveny. Quant à l’histoire, Estéveny me la donne comme tout-à-fait exacte. J’ai écrit à Rodez pour avoir des renseignements plus précis si possible. Mais jusqu’à présent, je la crois exacte, car « As pla cagat » nous avait bien fait l’impression à tous d’un type un peu naïf. Je mets son histoire sur le compte de la naïveté, pour ne pas être plus sévère.
 Mais que faites-vous en Argonne ? Vous avez

eu le temps d’apprécier les charmes de ce beau pays. Mais le 15 e ne vous a-t-il pas quitté ? Il me semble avoir vu dans les journaux que le 15 e avait obtenu la fourragère à Verdun dans les débuts de Novembre. Quant à nous, nous voici maintenant dans un secteur tranquille non loin cependant de V. On ne se fait pas de bile et on y resterait facilement sans protester jusqu’à la fin de la guerre. Il est vrai que quand on a passé 24 jours à Fleury, on trouve les autres secteurs bons.


Il me semble que tu es bien pessimiste sur la durée et la fin de la guerre. Tu es d’ailleurs pessimiste, un peu par tempérament. Tu doutes donc de notre victoire ! Je voudrais bien savoir sur quoi tu te bases. Ne crois-tu pas que si les Allemands, après leur victoire en Roumanie, ont demandé la paix, c’est uniquement parce qu’ils sentent que désormais nous aurons la supériorité et surtout parce que chez eux la gêne s’accroit dans des proportions inconnues chez nous. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils ont fait leur dernier effort. Au contraire, je crois qu’Hindenburg nous réserve des coups plus terribles que tous ceux que nous avons supportés. Mais d’autre part, chez nous, le matériel augmente d’une façon formidable, les Anglais et les Russes ont des réserves d’hommes. Et surtout, il semble d’après les derniers combats, que nous ayons appris

à faire la guerre. L’attaque du 15 décembre a été l’application de principes qui semblent indiscutables, et en somme, une répétition générale.
Ne te moque pas de moi si je parle en savant. Je te donnerai comme excuse que je viens de suivre un cours de C nt de C ie  
( ??) où j’ai entendu de bien belles choses, mais qui sont vraies.

Union de prières. Bien affectueusement à toi en N.S.

        Grialou.

- Vendredi 22 décembre 1916  -

Sainte Messe vers 7 h 30, beaucoup de prêtres soldats célèbrent le saint sacrifice, la plupart appartiennent au G.B.D. de la division que nous venons relever et ils sont en voie de déplacement par conséquent. Le soir à 18 h 30 prière et bénédiction : bonne assistance un des aumôniers de la division que nous relevons (71e) préside la cérémonie et prend la parole.

- Samedi 23 décembre 1916  -

Rien de spécial pour la matinée. M. le curé veut bien nous réunir vers 13 h pour fixer l’ordre des cérémonies du lendemain et du jour de Noël. On s’entend fort bien sur tous les points.

- Dimanche 24 décembre 1916  -

Plusieurs messes de communions dans la matinée. Grand-messe militaire et « civile » à 9 h 30. Eglise bien remplie. M. Ressiguier tient magistralement les orgues. Vêpres à 14 h 30. Pas beaucoup de monde.
À 23 h chant des Mâtines. L’église se remplit petit à petit. Malheureusement les 2 compagnies de mon bataillon qui se trouvent ici ne sont pas autorisées à assister aux cérémonies de la nuit, par ordre du chef de bataillon animé cependant des meilleures intentions, mais craignant à tort de fournir à un trop grand nombre l’occasion de se divertir. C’est malheureux parce qu’un grand nombre aurait eu plaisir de prendre part à cette cérémonie si touchante et si populaire, qui sont obligés de rester dans les cantonnements. Beaucoup de ceux-là se seraient approchés des sacrements, qui ne le feront point.
Il y a beaucoup de confessions dans la soirée et la population civile en particulier donne bien l’exemple aux soldats. Civils et militaires forment un groupe de 150 convives à la table du Bon Maître : c’est peu évidemment à côté du nombre des invités ;  mais du moins ceux-là savent prier pour les autres.


- Noël - Lundi 25 décembre 1916  -

Chants de la messe de minuit fort bien réussis : point d’artistes mais les chants populaires de la foule sont bien plus impressionnants. Vers 1 h 15 la cérémonie prend fin et l’église se vide peu à peu. Alors seulement nous pourrons songer à célébrer le Saint Sacrifice ayant dû jouer un rôle très actif pour les chants. Je sers les 3 messes à M. Estivals puis à mon tour, je célèbre les miennes dans un silence vraiment impressionnant. Comme je me suis plu à demander à l’enfant Jésus toutes ses faveurs ! J’ai prié pour la France, pour les camarades, pour ma famille, vivants et morts. A 3 h 30 seulement je puis regagner le cantonnement où tout le monde dort : je suis harassé de fatigue,  aussi je ne tarde pas à m’endormir à mon tour.
A 7 h 30 je suis de nouveau sur pieds. A 9 h 30, grand-messe : église bien remplie. Beaux chants, grand recueillement.
A 14 h 30 vêpres solennelles ; il n’y a pas foule : cela dénote, hélas, bien de l’indifférence chez beaucoup de soldats.
L’ami Redoulès nous reçoit à son bureau et ensemble nous dégustons quelques bouteilles de bon vin. Soirée avec les amis habituels et coucher de bonne heure.

- Mardi 26 décembre 1916  -

Sainte Messe vers 7 h. Rien de spécial pour la matinée. Le bataillon du 122e monte ce soir en ligne. M. l’abbé Estivals me quitte par conséquent. Bénédiction le soir comme à l’accoutumée.


Lettre d'Eugénie à son frère Ernest.

Toulouse 26 X bre 16


Mon cher Frère,

Ce soir j'ai reçu ta bonne lettre contenant les deux belles cartes qui ont fait la joie des fillettes, tu peux croire, du reste elles sont vraiment belles et seront pieusement conservées en souvenir du Noël 1916.

J'ai été heureuse que tu aies passé la fête de Noël au repos au moins tu auras pu la célébrer pour le mieux. Ici rien de plus triste que ce Noël où j'ai eu envie de pleurer toute la journée, d'abord il n'y a pas eu de messe de minuit, chose que j'ai trouvée affreuse malgré toute l'économie de lumière qu'il faut faire ensuite.
Mon cher Frère à l'occasion de la Noël j'ai envoyé un petit colis à Marius et à Baptiste. Je ne t’en ai pas fait autant, pensant qu'il ne te manque rien par Tante qui me dit souvent t'avoir expédié un colis, mais si quelque chose te faisait plaisir ne te gêne pas au moins, selon mes moyens je ferai tout ce que je pourrai pour t'être agréable. Marius doit passer nous voir quand il aura sa permission, aussi je m'empresse de faire quelques petites provisions pour envoyer à Maman. Petit à petit je ramasse un peu de sucre qui se fait rare j'avais pensé de lui faire un colis à la Noël pour la remercier des haricots et des châtaignes qu'elles m'ont envoyés mais puisque Marius passe, j'attends, ce sera préférable à cause de ces encombrements des transports.
Hier j'ai reçu un mot de Louis me disant avoir reçu subitement l'ordre de lever batterie ils ne savent pas où ils vont, pourvu que ce ne soit pas à Salonique, c'est ma plus grande peur pour vous tous surtout, lui étant âgé de plus de 40 ans, je ne crois pas qu'on le fasse partir si loin, mais pour vous autres c'est ma plus grande appréhension. Je ne sais ce qu'on pense d'envoyer tant de troupes par là-bas. Tous les jours il en arrive, il y a actuellement à Toulouse ou plutôt dans ses environs 7 à 8 régiments, enfin ce serait bien à décider que tout ce fléau s'achève quel malheur mon Dieu !
Ce soir j'ai reçu aussi une bonne lettre de fin d'année de Marie de Tols, la 1ère depuis la mort du pauvre Papa je pense, elle a l'air bien triste mais bien résignée aussi, elle va bien ainsi que Maman et Clémence qu'elle est allée voir ces jours-ci. Elles ont fini de semer le blé parait-il et elles en ont fait un bon peu, pauvre Maman que des fois j'y pense  et comme elle doit être triste par moment en pensant à vous tous qui êtes au danger. Je me rappelle souvent quand nous étions petits et qu'elle disait, j'ai bien du souci à présent pour vous entretenir de ce qu'il faut mais ces soucis sont petits à côté de quand vous serez grands ! Elle ne croyait pas si bien dire la pauvre et tous deux nous ont bien toujours aimés, et on souffre de sa peine, surtout depuis la mort du pauvre Papa elle se trouve plus seule, heureusement que Clémence est près d'elle . Cette année, si la guerre dure encore, je tâcherai d'y aller passer quelques temps mais pour cela il me faut faire les économies du voyage avant. Aussi tu peux croire que c'est avec ardeur que je tire l'aiguille pour rabattre des vareuses pour l'équipement. Je me fais mes 20 ou 30 sous par jour, en plus de mon travail au Palais. Bien entendu, ça m'aide bien à vivre, sans compter que je récolte un peu de partout, vin, pommes de terre, haricots, à présent ce sera un peu du cochon j'espère, et tout cela bien économisé, me fait passer mon temps tranquille malgré la cherté des vivres. Quant aux toilettes c'est le moindre de mes soucis pourvu que nous soyons propres et pour cela je lave et rafistole tout, robes, manteaux, chapeaux, pour les fillettes et pour moi, aussi de ce côté je ne dépense rien. Je dois t'avoir dit que j'avais loué un lit installé à l'entrée, ça me paie le loyer, il faut s'accrocher à toutes les branches en ce moment pour vivre, et vivre honnêtement surtout, mais pourvu que le travail me dure et que je ne sois pas malade, je m'en tire très bien..
Crainte de l'oublier, laisse moi  t'offrir mes meilleurs souhaits pour 1917. Je ne puis que te désirer que le Bon Dieu te conserve comme il l'a fait jusqu'ici, c'est à dire en bonne santé malgré tout, que la guerre prenne fin et que nous soyons victorieux, voilà mes vœux les plus chers.

A ton régiment, vous avez un Capitaine Aron (?) avocat de la Cour d'Appel de Toulouse, petit roux mais très aimable, je lui ai parlé de toi, il m'a dit ne pas te connaître, mais connaître un Clément Olivié, j'ai pensé que ce pouvait être notre cousin.

Je t'embrasse.

Ta sœur Eugénie.


- Mercredi 27 décembre 1916  -

A midi nous changeons de cantonnement ; nous allons nous installer au « camp Etienne » fort bien aménagé mais à l’écart du village. Je puis cependant passer quelques heures avec l’abbé Tersy du 81 e et le soir assister à la cérémonie habituelle.

- Jeudi 28 décembre 1916 -

Rien de spécial à signaler. Le soir l’ami Michelet du 122e veut bien partager avec Tersy et moi nombre de délicieuses victuailles qui nous font un fameux souper : rien n’y manque. Nous avons fini juste à temps pour aller assister au salut qui à partir de ce soir a lieu à 18 h au lieu de 18 h 30. M. Chocqueel, aumônier du 122 e le préside. Nous allons accompagner Michelet au loin sur la route de Clermont.

Suite du récit : Argonne - 4 - ( Vauquois, plaine de Boureilles).


 
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