Premiers combats à la Cote 304 - 96e R.I. - du 5 au 11 février 1917. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Premiers combats à la Cote 304 - 96e R.I. - du 5 au 11 février 1917.

1917 > Cote 304/Mort-Homme

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- Dimanche 4 février 1917 -

Sainte Messe à Nixéville où je vais prendre ma chapelle ; départ à l’heure marquée. Nous avons une étape de 10 km au moins sur la route glacée, d’où grande fatigue. Nous passons par Blercourt, Dombasle, Récicourt  et allons camper à 3 ou 4 km au nord de ce dernier village sous les bois, dans des abris ouverts à tous les vents : nous y grelottons. C’est bien la guerre !….
Nota : probablement en forêt de Hesse


Lettre de Clémence à son frère Ernest.

Labadie 4 février 1917


Bien cher Ernest,


Je réponds à ta bonne lettre dans laquelle tu nous disais être en bonne santé. Avec le froid qu'il fait que devez-vous devenir ? Ici il fait un froid terrible, mais au moins on se met à l'abri et on fait de bons feux.
Cher Ernest, que je te dise que notre santé va à peu près bien, Maman a été grippée, elle est à peu près rétablie.
Nous attendons avec impatience une autre lettre de toi pour voir si tu viens en permission. Ça tomberait bien, Baptiste est en permission, il aurait plaisir que nous célébrions le service de notre pauvre père. Nous voudrions savoir si tu peux obtenir ta permission.
Louise est montée mardi soir, le mercredi on disait une messe pour son pauvre mari, moi j'y ai gardé les petits…le petit Jean ne croit pas qu'il soit mort, il dit qu'il est à la guerre avec son pépé. Pauvres petits orphelins, qu'ils sont à plaindre, ils ne souffriront pas de la faim quand même.
Marius ne nous a pas écrit depuis quelque temps, il n'a écrit qu'une fois depuis son retour de permission. Il doit avoir quitté l'ambulance. Il est dégoûté de cette vie militaire lui aussi.
Je ne t'en dis pas plus long, cher Ernest, tâche de te défendre du froid le mieux possible, sois plein de courage et de force.
Adieu, mon cher Ernest, reçois de nous deux nos meilleurs baisers.

   C. Olivié.

Lettre de Louise à son frère Ernest.

Capdenac le 4 février 1917


Bien cher Ernest,


J'ai reçu ta bonne lettre ce matin et j'y réponds tout de suite, ça me fera passer un moment pendant ces longues veillées des dimanches qui sont interminables, surtout maintenant où je suis si seule. Les petits dorment depuis 6 heures et me voilà dans mes tristes pensées, toujours les mêmes. Toujours j'ai ce pauvre Firmin devant mes yeux, je le vois toujours mort dans cet hôpital. Oh ! que c'est triste, et dire qu'il y a trois semaines aujourd'hui. Enfin pardonne-moi, mon cher Ernest, si je te répète les mêmes choses
…Je ne sais pas encore ce que m'accordera la Compagnie, car encore on ne m'a pas appelée. Ça se plaidera à Villefranche. Quant à l'assurance ... tu vois que le pauvre Firmin ne me laisse pas tout à fait dans la détresse.
Ta permission est retardée, et pourvu qu'elle ne soit pas supprimée. Enfin, à la volonté de Dieu, on peut s'attendre à tout.
Mardi et mercredi, je suis été à la maison où j'ai pu aller assister aux messes du pauvre Firmin, malgré le froid rigoureux qu'il faisait. Avec la pauvre Maman, nous y avons été, et puis nous sommes allées pleurer sur cette terre où reposent ceux que nous avions de plus cher, maintenant que nous sommes veuves toutes les deux. Et quand nous avons assez pleuré, nous nous consolons l'une l'autre. Le pauvre papa n'est plus tout seul, car ils sont tout à fait un à côté de l'autre, et la pauvre maman dit que le pauvre Firmin lui a pris la place. Enfin, il faut espérer qu'elle nous restera encore, car c'est bien doux d'avoir une mère pour vous consoler quand on a de si grandes peines.

Depuis quelques jours, il fait un froid très vif, il gèle à l'air, comme on dit, il y a longtemps qu'on n'avait pas vu un froid pareil. Pauvres soldats, comme on pense à vous autres en ce temps si froid ! Quand on est dans un plumard bien chaud, et que vous autres vous êtes à la belle étoile, et encore plus à tous les dangers. Quand est-ce que finira ce triste fléau ?
J'ai reçu une lettre de mon beau-frère avant-hier. Elle était datée du 6 janvier, il nous disait que les postes n'avaient pas marché pendant une douzaine de jours. Hier j'en ai reçu une autre, du 20, je n'en reviens pas qu'elle soit arrivée si vite. Le pauvre malheureux, quel coup ça va lui faire quand il apprendra le terrible malheur qui nous frappe, lui si loin de toute consolation, et le pauvre Firmin qui était si bon pour lui. Je ne lui ai pas encore écrit, ma belle-sœur s'est chargée de le lui annoncer, car moi je n'en ai pas eu le courage.
Ma belle-mère a été aussi très affligée, la pauvre, ça lui est bien pénible car aucun n'a eu la consolation de le voir, pas même mort. S'il était mort ici, tout le monde aurait pu le voir, mais là-bas, ç'a été impossible.
Je pense te raconter tout ça bientôt. En attendant je te remercie des bonnes prières que tu fais pour lui ; les pauvres petits ne l'oublient pas non plus, maintenant c'est tout ce que nous pouvons faire pour lui.

Nous t'embrassons bien tendrement.   Louise.

Lettre de Eugénie à son frère Ernest.

Toulouse le 4 février 1917


Mon cher Frère,


J'ai reçu ce matin ta bonne lettre datée du 31 m'annonçant le retard prévu de ta permission, du reste je ne comptais guère te voir arriver le 3 ou 4 comme tu l'espérais précédemment.
Je ne sais pas pourquoi, tout de même, depuis le 3 au soir je ne me serais pas couchée avant 11 h ½ pour rien au monde, et hier au soir, j'en rigole encore malgré mon désappointement, voilà qu'à 11 h ¼ j'entends des pas de soldat dans la rue. En même temps que je me précipitais à la fenêtre, on frappe le coup à la porte, et je ne me rends pas bien compte si c'était à la nôtre ; dans mon idée, pas de doute, ça ne pouvait être que toi. J'ouvre et voyant un militaire sur le trottoir, je m'écrie : "attend, je descends", quand ma voisine du n° 9 ouvrait elle aussi - car en réalité c'était là qu'on avait frappé - elle me dit : "ce n'est pas le vôtre, c'est le mien". Juge si j'étais contrariée, car je t'aurais bien préféré t'avoir ici que de te savoir remonté à V...
erdun.
A ce sujet, je n'ai pas encore vu Tante pour savoir ce que tu lui racontes au sujet de François, mais j'ai été stupéfaite à la pensée de le savoir prisonnier, pourvu qu'il ne soit pas tué, mon Dieu !
Quel malheur que ce serait encore pour notre famille, car notre pauvre cousine déjà si éprouvée par la croix qu'elle a de sa mère, il ne lui manquerait plus que ça. Prisonnier passe encore malgré tout - je voudrais vous y savoir tous, plutôt qu'au danger où vous êtes exposés, car enfin on a plus d'espoir de les revoir, malgré tout ce qu'ils peuvent endurer. Enfin, je suis bien montée la voir sans avoir l'air de rien, et lorsque je lui ai demandé si elle avait des nouvelles de François, elle s'est mise à pleurer, me disant n'avoir rien reçu depuis la lettre du 24 dans laquelle il lui disait : "quand tu recevras cette lettre, je serai au repos et je t'écrirai plus longuement". Alors juge si elle se fait du mauvais sang, disant que jamais elle n'a passé si longtemps sans nouvelles. Je n'ai rien dit au sujet de ta lettre, Tante aura fait ce qu'elle croyait avoir à faire, car elle devait y aller cet après-midi.
Ta petite filleule n'a fait que pleurer quand elle a su que tu n'arrivais pas aujourd'hui. C'est qu'elle avait fait beaucoup de projets pour recevoir son Parrain. Oh ! elle a eu un vrai chagrin, elle a même grondé le petit Jésus de ne pas l'écouter, elle qui le priait tant pour que tu arrives, c'est que tu ne connais pas le caractère de ta filleule, elle est très sensible et aime bien tout son monde. Si tu l'avais vue faire avec Tonton Marius, et comme elle a eu du chagrin quand il est reparti ! ... Du reste, chaque fois que son père repart, elle en est malade.
J'ai eu aussi une lettre de la pauvre Louise. Elle était allée passer 2 jours à la maison, elle a l'air d'être bien affligée, et certes on le serait à moins. Pauvre petite, je prends bien part à sa peine, mais celui que je plains le plus, c'est le pauvre Firmin, quoique à dire vrai, lui est peut-être le plus heureux de tous , puisque le Bon Dieu lui a donné le temps de se reconnaître - ce qui lui est une grande grâce et une bonne consolation pour la pauvre Louise, car mon Dieu, elle peut se dire que malgré tout, elle est une de plus au nombre de tant d'autres en ces malheureux temps, et qui n'ont ni la consolation de se les voir, pas même morts, pas même une tombe pour aller pleurer, et qui ignorent tout de leurs derniers moments. Pour moi, je sais que c'est la grâce que je demande journellement au Bon Dieu, si toutefois je suis appelée à passer par ce malheur moi aussi. Pour si terribles que soient ces moments pour le mourant, pour ceux qui restent, c'est une suprême consolation avec l'espoir de les retrouver un jour.
La dernière lettre que j'aie eue de Louis était du 30 ; il me disait être encore au repos, mais pour peu de jours croyait-il. Le froid est très violent, dit-il, et je crois que c'est général car ici on enregistrait 11° en dessous du zéro, ce qui est beaucoup pour un Toulouse.
J'espère que ma lettre te trouvera encore au front, dans le cas contraire tant mieux. A partir de mercredi, je reviendrai attendre 11 h ½ pour me coucher, ce qui ne me gêne guère, car ce n'est pas rare, surtout en ce moment où il y a presse pour le travail de couture de l'équipement. Il faut en profiter. Dans tous les cas, je serais désolée que tu te gênes pour arriver à n'importe quelle heure de la nuit, mais le seul train que tu puisses arriver est celui de 11 h par lequel arrivent Louis et François parce qu'ils prennent l'express en cours de route. Différemment, tu arriverais que le lendemain vers les 10 h comme a fait Marius. Tâche donc d'arriver à 11 h et de te faire signer la permission que du lendemain. Du reste, il parait qu'à Rignac on n'a pas compté à Marius les 2 jours passés ici.
Marie a reçu un mot de Baptiste tout heureux, de la maison, espérant vous voir arriver tous ensemble tant qu'il y est, et voilà que par le retard de ta permission, vous allez vous manquer de quelques jours. C'est réellement désagréable ces contretemps.
Ce soir, grand émoi à Toulouse par l'annonce de la rupture de l'Amérique avec l'Allemagne. Pas de doute que c'est le commencement de la fin, quel bonheur s'il pouvait en être ainsi !
Notre santé est assez bonne pour le moment. Je ne désire qu'une chose, c'est de te voir arriver de même car, avec ce froid terrible, on se demande comment vous pouvez y résister. J'écris avec les gants tant j'ai mes mains crevassées, jamais je n'y avais rien eu. C'est peu de chose heureusement, quoique ça me gêne bien pour le travail.
A bientôt j'espère le plaisir de te voir. En attendant, toutes les trois t'embrassons bien tendrement.

    Eugénie.


- Lundi 5 février 1917 –

Après une assez bonne nuit de repos, nous pouvons célébrer le Saint Sacrifice de la messe. Puis la journée se passe tranquillement en attendant le départ fixé à 5 h (du soir). Marche encore très dure et longue. Nous traversons Montzéville, grand village en ruine. Tout le long de la route, d’énormes trous de marmites font tâche noire sur la nappe blanche de la neige. Nous arrivons vers 11 h (23 h) au village d’Esnes-en-Argonne. Ce n’est qu’un monceau de ruines qui, au clair de lune, sous le manteau blanc dont les recouvre la neige, prennent un aspect plus que lugubre. Tout le long de la route qui traverse le village, plusieurs cadavres de chevaux à moitié pris dans la glace. De là, pour arriver en ligne, il y a 3 km environ. Nous passons plus de 2 h à les franchir. Le piétinement sur place est très pénible à cause du froid qu’il fait. Pas d’accident.

Nota :
Ernest vient d’arriver en des lieux de sinistre réputation :
la Cote 304 et, un peu plus à l'est, le Mort-Homme.

La brillante victoire française du 15 décembre 1916 a avancé notre ligne sur la rive droite de la Meuse en dégageant complètement Douaumont et en nous donnant de bons points d’appui. Mais l’ennemi  a conservé des positions menaçantes sur la rive gauche : le Mort-Homme et la cote 304. L’état-major allemand paraît avoir accepté sa défaite à Verdun. Pendant six mois, de part et d’autre de la Meuse,  la région va être relativement calme.
Les bombardements sur la cote 304 ont été si intensifs de part et d'autre que l'altitude de la butte a diminué de 9 m : la Cote 304 est maintenant à 295 m d'altitude.



- Mardi 6 février 1917 -

La nuit se passe à peu près blanche. Un peu de repos pendant le jour. Nous ne pouvons pas trouver d’abri pour célébrer la Sainte Messe ce jour-là. Pas de blessé pendant le jour. La nuit nous enlevons 5 morts du 342e pour les transporter en arrière. Quelques brancardiers du 342e nous aident. Vers 2 h du matin, nous avons un peu de repos.


- Mercredi 7 février 1917 -

Impossible encore de célébrer la Sainte Messe, c’est une grande privation. Mais dans la journée, M. l’abbé Dufeux découvre un modeste abri où nous pouvons désormais immoler la Divine Victime. Journée assez calme.
A la nuit, Boches et Français travaillent côte à côte entre les lignes à poser des réseaux de fil de fer. Certains de ces Boches prennent des airs de familiarité louche. Ils nous demandent du pain et nous donnent en échange cigares et cigarettes dont ils ont plein les poches. Mais on reçoit des ordres très sévères de ne pas frayer avec ces gens là. Deux petits blessés le soir, quelques pieds gelés, ce qui nous donne de la besogne pour une bonne partie de la nuit.

- Jeudi 8 février 1917 -

Sainte Messe vers 9 h. C’est un grand réconfort pour nos âmes, on se sent bien plus courageux quand on a Dieu dans son cœur.
Je vais accompagner un malade à Esnes(-en-Argonne) pendant le jour. Le soir nous enlevons encore quelques cadavres anciens.
Corvée de ravitaillement à minuit au village. Retour vers 2 h.

- Vendredi 9 février 1917 -

Rien de spécial pour la journée. De nouveau, je retourne au ravitaillement durant la nuit. Mon tour de permission approche, mais je ne pourrai jamais arriver pour voir mon frère. C’est un rude sacrifice que Dieu nous impose, je l’accepte comme il convient.
Très violent bombardement pendant 2 h sur notre droite, rive droite de la Meuse. Vers 7 h du soir, l’éclatement des fusants, la lueur des fusées enflamment le ciel : c’est lugubrement beau et un peu infernal.


- Samedi 10 février 1917 -

Rien de spécial pendant la journée. Notre artillerie bombarde violemment la crête du Mort Homme qui s’étend à notre droite, faible riposte des Boches. En revanche, vers 10 h et 11 h de la nuit, ils bombardent violemment le village d’Esnes et le chemin qui y conduit des lignes. Quatre bourricots sont les seules victimes de ces bombardements. Notre bataillon est relevé par le 1er, mais ma compagnie reste en réserve au moins jusqu’à demain au soir. Je ne change pas de poste.


- Dimanche 11 février 1917 -

Sainte Messe vers 9 h sans assistant ; le lieu n’est point propice. Journée calme. On attend patiemment la relève.
Dans l’après-midi avec M. l’abbé Fontan nous ensevelissons un soldat allemand tué dans nos lignes. Impossible de creuser la terre durcie par la gelée : nous nous contentons de le recouvrir des blocs de terre gelée arrachés à grands coups de pioche. Point de pièces d’identité sur lui. Vers 10 h du soir relève sans trop de bombardement : beau clair de lune, froid vif, route fort glissante. Nous passons par Esnes, Montzéville, Dombasle et arrivons à Jouy(-en-Argonne) devant Dombasle vers 5 h du matin. Mauvais cantonnements, granges ouvertes à tous les vents ; mais la fatigue est grande : un bon jus et un bouillon chaud nous réchauffent un peu.

- Lundi 12 février 1917 -

Vers 10 h : lever. Soupe à midi. Journée passée au repos et au nettoyage. J’attends mon prochain départ en permission avec impatience, sachant que mon frère aîné se trouve au pays et qu’on m’attend pour les services de mes chers morts.


- Mardi 13 février 1917 -

Sainte Messe vers 7 h 30. Rien de spécial à noter pour la journée. Toujours même température rigoureuse.
Enfin, on m’annonce que je pars demain en permission : quelle joie d’aller revoir les miens, de quitter pour quelques jours ce milieu si peu agréable !
Nous recevons la visite de M. l’abbé Sahut, notre aumônier divisionnaire.



Suite du récit : Cinquième permission.

 
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