Au front de l'Aisne # 2 - Canal de l'Oise à l'Aisne - 322e R.I. - 21e Cie - 6e Bataillon. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Au front de l'Aisne # 2 - Canal de l'Oise à l'Aisne - 322e R.I. - 21e Cie - 6e Bataillon.

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- Jeudi 16 mars 1916 -

Calme ordinaire de la matinée. L'après-midi, pour se payer de quelques bombes et obus qu'on leur avait envoyés, les Boches nous envoient un véritable ouragan de bombes qui malheureusement font des victimes : 2 blessés à la 21 e, un autre à la 23 e, plus 2 tués. Je n'ai même pas pu les assister puisqu'ils ont été tués sur le coup. Avant la nuit nous pouvons prodiguer les premiers soins aux blessés. A la nuit, au clair de lune, à travers champs, nous portons les blessés à Pont-Arcy, tandis que d'autres creusent les tombes pour ensevelir les 2 morts. Au retour je bénis leur tombe qui se referme sur eux.

- Vendredi 17 mars 1916 -

Rien de spécial à noter, le calme se rétablit d'un côté et de l'autre, tandis qu'à Verdun la mitraille pleut avec fracas. Les Boches ont attaqué hier,

paraît-il, mais n'ont pas eu plus de succès qu'auparavant.


Ma pensée peut se reporter, grâce à ce calme, vers les journées des 19 et 20 mars 1915
: ce furent les plus beaux jours de ma vie, qui virent se réaliser pour moi et pour tous ceux qui s'intéressaient à moi, les plus saints désirs ; Dieu a bien voulu me faire son prêtre ! Une faveur dont j'étais bien indigne, hélas !
Je me vois encore à profiter de tous les instants que me laissaient les occupations militaires  pour penser un peu à la grâce qui m'allait être accordée. Pendant 3 jours j'ai pu rester absolument étranger à ces préoccupations militaires et m'attacher uniquement à tant de choses d'un ordre tout autre ! Préparation aux cérémonies de la messe, puis surtout réflexions et lectures capables de débarrasser un peu mon esprit de la gaine plus ou moins opaque que la caserne a laissé croître. Ce fut là, du reste, toute ma préparation avec quelques visites à mon directeur, M. le Supérieur.
Le 18 au soir, j'allais attendre mes parents chéris, ma tante et ma sœur Marie. C'est là tous ceux qui peuvent venir prendre part à ma fête ! Tant il est vrai que l'homme propose et Dieu dispose ! On avait espéré faire une réunion de famille en cette occasion. Hélas ! Ce n'est pas possible avec la guerre et jamais plus ce ne sera possible, puisque notre cher papa n'est plus à l'heure qu'il est. Le Bon Dieu l'a rappelé à Lui. Mais quelle reconnaissance ne doit-il pas avoir à son Juge d'avoir bien voulu lui donner de me voir monter au St Autel et me donner à moi-même le pouvoir d'offrir le St Sacrifice pour lui ! Comme je L'en remercie moi-même, et comme je sens qu'Il a voulu, malgré tout, malgré mon indignité, nous accorder des grâces immenses. Je vois bien là la récompense même temporelle que Dieu accorde souvent aux familles nombreuses.
Je me promets de profiter des bonnes dispositions dans lesquelles me mettent ces pieux souvenirs pour rentrer un peu en moi-même et me retremper dans les bonnes résolutions qui furent les miennes lors de cette consécration, et que je n'ai pas toujours gardées.



- Samedi 18 mars 1916 -

Rien de spécial à noter en ce qui concerne notre situation militaire dans notre secteur. Les nouvelles du front de Verdun restent toujours fort encourageantes.
L'an dernier c'était la veille du grand jour ! J'avais quelque émotion, sentant tout le poids de toute la grandeur du mystère qui allait s'opérer en moi. Je dis la Ste Messe cette année pour mon cher Papa à qui Dieu permit l'an dernier d'assister à mon ordination et à ma première messe, et je n'oublie aucun des membres de ma famille. Je suis seul à dire la messe ce matin, car mon confrère l'abbé Tercy est allé au repos à Dhuizel.


- Dimanche 19 mars 1916 -    Fête de St Joseph.

Première messe à l'écluse au P.C. du commandant. Bonne petite assistance. A 9 h 30, comme tous les dimanches, 2 e  messe au P.S. des lignes. Une vingtaine de camarades, parmi lesquels plusieurs officiers, y assistent. Je la dis à l'intention d'un soldat de la 23 e C nie qui fut tué jeudi soir. Ainsi, au jour anniversaire de mon ordination sacerdotale, j'ai eu la joie d'offrir 2 fois la Ste Victime. C'est une grande faveur dont je suis bien indigne. Heureux si seulement je pouvais profiter des grandes grâces qui me viennent de ces actions saintes, pour devenir plus pieux, plus saint !



Le restant de la journée se passe comme à l'ordinaire, sauf un peu plus de lectures pieuses. Le soir 2 chapelets au clair de lune et le petit office de la Ste Vierge avant de m'endormir.

- Lundi 20 mars 1916 -

Je profite de l'absence de M. l'abbé Tercy, parti au repos, pour dire ma messe en ligne, au bureau de la 22e C nie : c'est là que sont mes 2 meilleurs paroissiens : le fourrier et son adjoint ; ils font la communion tous les matins. Occupations ordinaires pendant la journée. Le temps semble redevenir pluvieux. Rien de spécial à noter. L'effort boche contre Verdun semble superflu de plus en plus et du reste il est moins violent.

- Du 21 au 23 mars 1916 -

Rien de spécial à noter. Nous n'avons point de blessés, malgré de nombreuses bombes tombées dans le secteur de notre C nie. Donc occupations peu nombreuses. Beaucoup de temps libre par conséquent qu'on ne peut guère employer utilement.

Lettre de Marius à Ernest -
 23 mars 1916

Cher frère,
Me voilà retourné à mon poste et je m’empresse de t’en informer. J’ai fait un assez bon voyage, quoique fatigant, tu sais ce que c’est, surtout quand on vient du pays et qu’on a le cafard. J’ai pu descendre chez nous la veille de sortir de l’hôpital. J’ai passé aussi un jour à Capdenac. Tu sais que les petits bonshommes n’étaient pas trop gais de me voir partir
( Jean et Louis,  les 2 fils de Louise Douziech, neveux d'Ernest et Marius) .
Enfin que veux tu, c’est comme ça, espérons qu’il viendra des jours meilleurs. Je vais reprendre mon petit train-train, mais je n’ai pas besoin d’un fort travail de quelques jours, je suis vanné.
Et toi, cher frère, tu dois en avoir assez d’être dans le trou. Tu m’écriras aussi tôt que tu le pourras, ça fait passer le cafard. Je ne t’en dirai guère plus long pour le moment, j’en ai trop à faire, et tu sais que je ne suis jamais en avance pour ce travail.
Bon courage et bonne santé. Je t’embrasse tendrement.
  Marius     Même adresse.

- Vendredi 24 mars 1916 -

Légère chute de neige pendant la nuit. Le temps s'est refroidi. Les boyaux sont boueux, encore un bon petit air d'hiver ! Il ne faut pas trop s'en déshabituer car la saison n'est pas encore fort avancée. Nouvelles rassurantes au point de vue militaire.

Lettre du curé de Glassac du 24 mars 1916

Glassac le 24 mars 16

+        Mon cher ami

    À mon tour je sens le besoin de m’excuser du long silence dont j’ai fait suivre votre lettre. Des dérangements fréquents, un voyage pénible dans ma famille m’ont retenu autour de l’encrier sans que j’aie pris la plume….
Pendant que j’étais à Campagnac l’abbé Chalbert  a donné de ses nouvelles; échappé comme par miracle aux obus de Verdun il disait que maintenant il aurait vu la guerre. C’était affreux. Notre confrère a toujours bon courage et formule son espoir du succès bien haut et bien ferme. Non loin de lui se trouve le vicaire de Campagnac.
 Ici nous n’avons rien d’important. J’étais à Labadie le jour de l’adoration, de Testet, 20 mars. J’y vis votre frère Marius venu de


l’Hôpital de Rodez se préparant à retourner au dépôt, votre belle-sœur aussi. … De Testet j’allai coucher à St-Cyprien pour le service anniversaire ( office religieux célébré à la date anniversaire du décès ) de l’abbé Bony ( Auguste-Cyprien) : M. Estibal vint dire sa messe en bicyclette de Rodez. … Toujours à la 21 e  ( ou 28 e  ? )   compagnie, l’abbé Estibal a demandé un nouveau congé agricole qu’il obtiendra sans doute. Cela nous vaudra sa présence au pays pour une quinzaine.
 Notre population  est sous l’impression du départ de Germain Marre du Puech ( classe 92 ) retardataire oublié, de Pierre ( ?) le chantre, de Bruel ( ?) de Plènecassagne de Bournac ( classe 91 ) ; du prochain appel de Sérieye de l’Aussellerie et de la menace qui guette la classe 88 toute entière. La campagne se vide presque au complet.
 Les auxiliaires de 90 songent déjà à leur tour. Testet souffrira de ce coup…
Pierre Sérieye dans l’Aisne a assisté avec sa mitrailleuse à un déluge d’obus de tous calibres – un bombardement violent, en un mot. Il est toujours au 231e régiment 2e Cie de mitrailleurs. Charles Bédos dans les tranchées est également au 110e 1e compagnie de mitrailleurs. J’assistai récemment au service de la mère L d’A. L’abbé avait obtenu son congé ; il est avec Estibal de Glassac, c’est-à-dire à la 17e compagnie sans doute. Vous devez être voisins par conséquent.
Sauf  un fils Bédan ( ?) de T ( ?) nous n’avions pas de Glassacois à Verdun. Dans les paroisses voisines pas de morts annoncées. Un fils Ruffier de la Vayssière serait prisonnier depuis dans les attaques de Verdun. Que le bon Dieu garde toujours nos braves soldats. Aux quarante heures d’Auzits se trouvait l’abbé Couderc, vicaire de Rodez ; il nous parlait de Verdun avec confiance. Ce sera un succès que cette résistance aux violences allemandes .
 En vous renouvelant l’expression de mes meilleurs sentiments, cher ami, je me recommande à vos bonnes prières et je demande une part de vos mérites de guerre.
  Votre tout affectueusement dévoué en N.S.  

J. Ladet

- Samedi 25 mars 1916 -

Rien de spécial à noter. Toujours la même vie monotone que je m'efforce, tout au moins, de ne pas laisser oisive. J'emploie mes heures de loisir à lire, à écrire. Je récite presque tous les jours les Vêpres de la Ste Vierge et cela me procure bien des charmes, malgré mes distractions.


Lettre de Tante Eugénie à Ernest

 Toulouse le 26 mars 1916


Bien cher Ernest

…. J'ai fait part de ta lettre à tes sœurs. …
Il me semble comprendre que tu trouves le temps long dans les 1 res lignes, on vous y laisse en effet bien longtemps et je comprends que ça doit finir par être ennuyeux et bien pénible cette vie de taupe qu'on vous fait mener hélas.
Il faut que je te dise que je t' ai fait partir un colis hier au soir dans lequel parmi un flacon d'alcool de menthe pour assainir ton eau, je regrette de ne pas y avoir pensé plus tôt, j'y ai mis un demi de chocolat que je pense l'autre doit être épuisée, un fromage et un peu de pâte de pomme. Comme tu vois je veux te faire faire Carême, dis-moi si le poulet était bon, et si le gâteau n'était pas en miettes.
Je finis cher Ernest en te disant que Marie et tous les autres parents ici vont bien et envoient un aimable bonjour, j'irai passer un moment avec tes deux sœurs après les Vêpres. Adieu. Je t'embrasse de tout mon cœur.  

Ta tante Eugénie.


- Dimanche 26 mars 1916 -

Ste Messe au Pont de Moussy pour le service médical et le Commandant ; assez maigre assistance en fait, plusieurs y mettent de la mauvaise volonté. Mais beaucoup ignorent même que c'est dimanche ou bien ne savent pas s'il y a une messe. Il est bien difficile de faciliter cette assistance dans une plus grande mesure à cause du peu de temps dont nous disposons. A 9 h 30, 2 e messe au poste du "Bois du Centre". Ici le groupe est plus compact, bien que tous les poilus ou à peu près soient plus tenus par les exigences du service. A la fin de la messe, nous prions pour les camarades qui n'ont pas pu assister à la Ste Messe. Durant le reste de la journée, occupations pieuses.

- Lundi 27 mars 1916 -

Je dis encore ma messe au bureau de la 21e C nie. La journée se passe dans le calme, sauf quelques bombardements de tranchée à tranchée ; 90 et 75 aux Boches qui, en retour, nous renvoient de grosses bombes qui pour la plupart n'éclatent pas. Le ciel est encore un peu sombre, mais semble vouloir se rasséréner. Occupations habituelles. J'apprends que l'abbé Tersy est revenu du repos.

- Mardi 28 mars 1916 -

Je reprends donc ma course au Pont de Moussy où je retrouve l'ami Tersy ; nous disons la messe tous deux. Petit déjeuner et retour au "Bois du Centre". Soleil radieux, journée calme, sauf bombardement réciproque sans accidents, grâce à Dieu. Bonnes nouvelles de la famille. Bonnes nouvelles aussi de Verdun où l'échec ennemi se confirme de plus en plus. Leurs maigres succès - quand succès il y a - sont payés au prix de milliers de vies de soldats.
Mais quand on songe aux souffrances que doivent endurer nos pauvres camarades, on n'est vraiment pas porté à se plaindre des quelques privations qui nous sont imposées ; elles ne sont pas en fait bien dures, et même on a plus de tranquillité qu'on n'en a jamais eu. Le plus triste, c'est le dénuement des pauvres poilus au point de vue spirituel, en dehors des 8 jours de repos qu'ils prennent tous les mois environ. Ils n'ont guère d'aliment spirituel, pas même la facilité d'assister à la Ste Messe le dimanche.

Lettre de Baptiste – 10 e RAP – 98 e Batterie d’exploitation de chemin de fer – Secteur 112.

A Ernest – Brancardier au 322 e de ligne – 21 e C nie – Secteur 139.

Le 28 mars 1916

Cher frère,


Je réponds à ton aimable lettre qui m’a fait grand plaisir de te savoir en bonne santé, car tu sais, je n’ai pas souci de moi, car tu peux me croire que je fais partie des embusqués, surtout pour le moment, si ça dure. Je ne suis pas encore sorti du dépôt des machines à bricoler. Je fais le manou ou plutôt je fais le manœuvre, car je ne m’y entends guère, mais nous ne faisons pas des travaux bien délicats, et puis nous y mettons le temps, 4 heures de travail sur 24, bonne nourriture, une bonne paillasse avec sac à viande et 3 couvertures chacun dans un bon logement  neuf en planches, bien situé au bord d’une petite rivière où nous n’avons qu’à faire 10 m en se levant pour aller nous débarbouiller dans une eau bien bonne et surtout bien défilée dans un ravin, derrière un grand talus. Voilà en 2 mots à peu près la situation où je me trouve. Nous ne sommes qu’à 1500 mètres du village, aussi je ne manque pas d’aller au salut. Samedi fête de la Ste Vierge, j’ai fait la sainte communion ainsi que hier dimanche. Nous avons repos tous les dimanches, sauf les chauffeurs et les mécanos. A ce point de vue je ne peux pas me plaindre, aussi je remercie le Bon Dieu de tout mon cœur de m’avoir  accordé cette grâce, de me conserver en bonne santé pour réparer des erreurs passées.
Mais malgré ça, tu sais cher frère, que je ne suis pas trop tranquille quand je pense à la vie que vous menez, les pauvres fantassins, aussi le plus que tu pourras, fais moi savoir de tes nouvelles et puis tes bons conseils ne sont pas de trop non plus.
Marie de Toulouse m’a écrit aujourd’hui, elles vont assez bien. Quant à Marius il m’a pourtant écrit en partant de Capdenac. Pour aujourd’hui je ne t’en dis pas plus long. J’ai quelques correspondances en retard. Hier il faisait une belle journée et en dehors des offices, j’ai fait quelques petites sorties car nous avions un temps bien beau mais aujourd’hui il s’est dérangé un peu. Je te remercie infiniment de t……. ( ?) mais ne te prive pas pour moi. Je t’écrirai bientôt sans tarder. Je t’embrasse.

 Baptiste.




Lettre de Jean-Antoine Estéveny à Ernest Olivié.

Salles Courbatiers 28 mars 1916  (Aveyron)

Mon cher ami.

Oui, tu as bien raison de me gronder de mon long mutisme. Ici, dans la famille, les jours s’écoulent si vite ; on a de la peine à s’en apercevoir, ou si l’on s’en aperçoit, on en est épouvanté…

Et puis je vagabonde quotidiennement de côté et d’autre, de presbytère en presbytère, en compagnie de Bouby, l’aimable Bouby, sous la tutelle de notre bon curé, le plus jovial, le plus hospitalier, le plus généreux pasteur qui se puisse trouver à X … lieues à la ronde… Et de la sorte, j’oubliais pratiquement de donner de mes nouvelles, de venir te distraire par mon bavardage, au cours de ce long séjour que tu fais en première ligne.

Tu me pardonnes, n’est  ce pas ?
Dans la dernière carte collective que nous t’adressions, Bouby et moi, nous te disions combien nous comprenions le vide causé par la disparition de ton pauvre père et combien nous partagions ta douleur. Il suffit d’avoir eu, d’avoir encore un père tendrement aimé, un père qui a dépensé pour vous sans les compter ses peines et ses sueurs, pour plaindre ceux qui en sont subitement privés… Ç’a dû être dur pour ton cœur de le voir partir et d’avoir eu à peine le temps de l’embrasser une dernière fois ! ...

Que tu es heureux tout de même de pouvoir, du fait de ton sacerdoce, porter son souvenir devant le Bon Dieu quand tu célèbres. C’est bien plus utile pour lui, le disparu, que de simples regrets, que des gémissements … Sois assuré, mon cher ami, que je te suis plus uni maintenant que tu souffres, que jamais… Quand j’ai le bonheur de communier, je demande au Maître d’avoir pitié de lui, de se souvenir qu’il a donné

un bon prêtre à son Eglise. Et puis toi, tu souffres tellement, là où tu es. Tu acquiers tant de mérites !
N’est il pas vrai que le dogme de la communion des saints et de la réversibilité des mérites  paraît sublime en pareilles circonstances. Il y a un plaisir réel à pouvoir se dire : je suis sûr de rendre le bien que l’on m’a fait ici-bas, jadis ; sûr de payer mes dettes de reconnaissance ; sûr de le faire au centuple… Je te promets la continuation de mon aide dans l’acquittement de ces dettes.
 Le congé de Bouby finit le 5 s’il n’est pas prolongé ; le mien expire le 7. A Rodez, j’aurai le plaisir de trouver Beq qui doit rentrer le 14, une semaine plus tard. Privat est toujours à Castres, renfermé dans son silence et sa morgue d’officier ( ?). Nous craignons parfois pour lui… Les semonces, les sermons que nous lui adressons le laissent insensible. C’est à désespérer de sa persévérance et, par le fait, du salut de son âme. Sa grande préoccupation, c’est le « chic-off ».
Ne lui « rapporte » pas ces médisances-là. Il bondirait sur moi avec fureur dès qu’il me trouverait !… Puisque tu vois Gleize assez fréquemment, dis-lui que je pense souvent à lui, que je parle souvent de lui ; et que s’il ne s’en doutait pas, c’est la faute uniquement à ma paresse … épistolaire.
Mes respects à M. Tercy, l’aumônier en chef. A tous les autres prêtres et clercs, du 322 ou du 122, mes amicales salutations.
Restons unis dans la prière et le sacrifice… Dans nos visites au T.S. Sacrement, demandons mutuellement au Maître de nous garder tel qu’il nous veut : soumis toujours à son bon plaisir.

Estéveny

 Bouby n’est pas là ; il va sans dire qu’il m’en voudrait si je lui avouais t’avoir écrit, sans te transmettre bien des choses agréables de sa part.

- Mercredi 29 mars 1916 -

Rien à signaler : emploi du temps pareil à celui d'hier.

Jeudi 30 mars 1916
Vendredi 31 mars 1916

Rien de spécial à noter, sauf que le beau temps nous arrive pour de bon. Journées tout ensoleillées, nuits toujours un peu fraîches. Les oiseaux familiarisés avec tout le fracas des armes à feu suivent, sans se troubler, leurs instincts : s'accouplent et construisent déjà leur nid ; le soir, merles et pinsons font entendre leur gaie musique et ne se laissent pas arrêter, même par l'éclatement formidable d'une bombe boche.

- Samedi 1er avril 1916 -

Sainte Messe comme à l'ordinaire. Travaux divers. Calme soutenu. Hier au soir les Boches nous ont envoyé avec une "fléchette" la "Gazette des Ardennes". J'ai eu la satisfaction de lire cette feuille toute remplie de "canards" kolossaux ! D'une main assez experte, un Boche y a écrit au crayon "Bonnes salutations, les Boches". Tel quel, il n'était pas très fort en français le Boche qui a prêté sa plume...
Entre autres choses fort suggestives se trouve publiée la liste des victimes des bombardements français par avions ou obus. Elle est longue, en fait est-elle exacte ? Leur communiqué enregistre toujours des succès "abracadabrants". Nos compatriotes d'au-delà des lignes ne doivent heureusement pas les croire... Bombardement fort violent sur notre droite du côté de Craonne. En prévision de la messe de demain, je fixe quelques habitués sur l'heure exacte à laquelle je dois la dire : 9 h 30 comme tous les dimanches.

Soleil radieux, journée plus que tiède, aussi il fait bon réciter ma prière du soir avec mon chapelet hors de la cagna, librement, tandis qu'au loin, dans les ténèbres, se font entendre les bruyants roulements des voitures de ravitaillement, les Françaises et les Boches. Comme les oiseaux nocturnes, il faut, à la faveur des ténèbres, aller chercher la nourriture du lendemain et les matériaux indispensables et multiples, nécessaires pour entretenir les vieilles tranchées et en créer de nouvelles. Tout ce travail se fait sans bruit, de temps à autre quelques fusées éclairantes, quelques coups de fusil, le crépitement d'une mitrailleuse, toutes choses qui se voient et s'entendent même dans les secteurs les plus calmes. Il n'est pas question de poissons d'avril ! A moins que les Boches nous aient envoyé leur "canard" à cette intention.


- Dimanche 2 avril 1916 -

Ste Messe vers 9 h 30 : bonne petite assistance dont 3 officiers de la C nie . Tous ces bons chrétiens ont à cœur de venir offrir leurs hommages au Divin Maître qui vient si volontiers près d'eux, au milieu même du champ d'action qu'ils sont appelés à défendre, même au prix de leur sang. Quel privilège pour ces bonnes âmes ! Combien sont privés d'en disposer ! ... Et dire que moi je l'ai presque chaque matin ! Et je sais si peu en profiter, j'en suis si peu reconnaissant à Dieu !
Journée calme et ensoleillée. Je passe l'après-midi en pieuses lectures. Le soir vers 21 h la 22 e C nie  est remplacée par la 23 e. Cela me fait perdre quelques excellents amis. Point d'accident.

- Lundi 3 avril 1916 -

Rien de spécial à signaler sauf quelques bombardements assez violents de part et d'autre ; nous n'avons pas de victime à déplorer, grâce à Dieu. Température chaude, ciel toujours serein. Aussi la végétation pousse activement. C'est déjà le grand sourire du printemps qui s'épanouit et nous apporte de la gaieté malgré la tristesse des temps et des circonstances.

- Mardi 4 et mercredi 5 avril 1916 -

Rien à noter pour le 4. Le 5, le ciel se couvre de nuages et pendant la journée, il pleut légèrement. Cela semble plus désagréable après plusieurs journées d'un soleil radieux. Mais c'est pourtant bien naturel car le printemps commence à peine.


- Jeudi 6 avril 1916 -

Il y a toujours du remue ménage dans notre corps de brancardiers. Par suite de quelques petites difficultés amenées par le manque de cuisine stable pour notre "popote", on décide de nous affecter par équipes de 4 aux diverses compagnies qui seront chargées de notre subsistance. D'où troubles et ennuis par suite des dislocations qui ont lieu dans les équipes déjà existantes. Je reste moi-même à la 21 e C nie qui est ma préférée, avec des camarades choisis, comme brancardiers. Aussi je ne souffre pas de la nouvelle organisation.
A part cela, rien à noter. Le temps reste sombre et brumeux. Nous employons notre temps à nettoyer et à fleurir les tombes de nos camarades enterrés en groupes plus ou moins grands ; grâce à nos soins, ces petits cimetières deviennent vraiment coquets.




*** FIN DU CARNET N° 5 ***


Suite du récit : Front de l'Aisne #3

 
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