Front Champagne #4 - Au front, à la Butte de Souain -- À l'arrière, à Dampierre-sur-Moivre. --- 322 e R.I. --- - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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dans les abris souterrains. Dans une contre-attaque, le 96 e les a chassés de la 1 ère ligne  qu’ils occupaient, sur une longueur de 5 ou 600 mètres, de sorte qu’à présent, sur cette longueur, la 2 e ligne est devenue 1 ère. C’est exactement dans ce secteur que nous devons prendre position ce soir : ça s’annonce mauvais.
D’abord, route épouvantable, la boue est profonde, gluante et, du reste, la pluie ne cesse de tomber. Partout des convois embourbés, quelle horreur que tout cela ! La marche est lente, pénible, énervante. En plus de notre fourbi, nous portons un brancard sur nos épaules. C’est affreux ! Les boyaux sont éboulés, pleins de boue. On s’enfonce jusqu’aux genoux.
Au-delà de la route de Tahure à Souain, le bombardement nous surprend. Nous sommes obligés de nous arrêter et de revenir sur nos pas. Pendant longtemps, nous faisons le va-et-vient dans le boyau. En fin de compte, nous revenons en arrière au poste central parce que, dans notre secteur, il n’y a pas de poste de secours. Place prise sous la pluie, dans la boue. Nous allons chercher refuge au camp d’Herbelfeld où nous passons la nuit.
La nuit du 7 au 8 se passe à  la Maison Forestière, dans de méchants abris. Journée triste. Nous sommes en alerte et nous nous attendons à partir d’un moment à l’autre. A 5 h du soir, en effet, nous partons pour aller relever le 81 e au secteur B (secteur de droite).

- Jeudi  9 décembre 1915 -

Journée calme. Une équipe de brancardiers se transporte chez le commandant. Point de blessés. Le soir, ravitaillement dans la boue, sous la pluie. Nous pataugeons 3 heures durant pour attendre le ravitaillement qui n’arrive pas. Seul le Decauville peut marcher : il arrivera demain matin. Je suis désigné pour faire partie de l’équipe qui va relever celle qui est déjà chez le commandant.

- Vendredi 10 décembre 1915 -

Matinée calme. Nous ne pourrons pas célébrer la Ste-Messe, faute du nécessaire. Notre autel est resté à la Maison Forestière. A 10 h, je monte en ligne avec mon équipe. Nous nous installons au PC du commandant.

A 14 h, tir de démolition effectué sur les 1ères lignes boches. On fait évacuer nos 1ères lignes, pour éviter les accidents qui se sont produits nombreux ces temps-ci. Pendant ce bombardement, en effet, beaucoup de nos obus éclatent dans nos lignes ; pas moyen de faire allonger le tir qui, loin de nous servir à quelque chose, nuit beaucoup en bouleversant nos lignes. Quelques soldats sont à demi ensevelis par nos obus. C’est démoralisant pour les hommes.
Il pleut toujours et l’humidité nous pénètre. Soirée assez calme en dehors de tout cela. Je vais accompagner au poste de secours un blessé atteint par un éclat d’obus français. Nuit tranquille.

Nous ne dormons guère de la nuit car il y a beaucoup d’agitation : on distribue aux compagnies des bombes, des sacs de terre, des échelles d’assaut. Tout cela sent mauvais, disent les poilus !… On dit que le 122 e doit se joindre à nous le lendemain pour attaquer les Boches et reprendre la tranchée qu’a perdue le 81 e.

- Dimanche 12 décembre 1915 -

En effet, vers 4 h du matin, le 3 e Bataillon arrive, sous une pluie torrentielle. A la 12 e C nie, j’ai la joie de voir le sergent Bernard. Je passe quelques instants avec lui. De 9 h à 11 h, nouveau tir de bombes et d’obus pour bouleverser la tranchée boche, mais peu efficace et très mauvais pour nous, car un grand nombre de ces projectiles vient s’écraser sur nos lignes de soutien. Plusieurs soldats du 122 e sont à demi ensevelis, quelques-uns même sont tués. Il en fallait moins pour achever de décourager ces pauvres soldats à demi-morts de fatigue et de froid, aussi ne sont-ils pas bien disposés à attaquer. A 14 h, nouveau tir d’artillerie, très bien dirigé celui-là, c’est le seul !
L’heure de l’attaque est fixée à 19 h 45. Les 4 compagnies du 122 e, renforcées de 2 C nies du 6 e Bataillon du 322 e doivent la faire, appuyées par notre Bataillon et  par 2 C nies du 96 e.

produite par le déplacement d’air a causé la mort de plusieurs soldats dans la partie qui n’est pas éboulée.
Nous laissons encore 7 cadavres, ce qui porte le nombre à 11 avec 3 autres que nous avons retirés. Un certain nombre se trouve encore  sous les décombres de l’autre galerie, complètement fermée par l’éboulement.
En entrant là-dedans, j’ai donné une absolution générale, j’ai administré l’extrême-onction à tous ceux qui étaient étendus à terre, tout en leur portant secours. L’un d’eux, dans son délire et entre deux râles, récite son chapelet, c’est touchant et combien triste !…
Je reconnais toutes ces figures qui ne donnent plus signe de vie, et que cela me cause de la peine !…
Il faut, malgré tout, songer à l’attaque qui va se déclencher tout à l’heure. A 20 h, elle commence en effet, menée avec peu d’enthousiasme. Deux compagnies du 122 e prennent pied dans une grande partie de notre ancienne 1 ère ligne où ils ne trouvent qu’à faire avec quelque poste d’écoute boche. Ils y arrivent presque sans pertes. Mais au bout de quelque temps, les Boches, d’une tranchée voisine, creusée en parallèle, les assomment à coups de grenades et de bombes. Résultat : beaucoup de blessés et plusieurs morts. Aussi, avant le jour, ordre est donné d’évacuer cette position : c’est ce qui est fait.
La tâche du 122 e étant terminée, il s’en revient avant le jour et tout rentre dans le calme. Nous n’avons ici que quelques petits blessés et un tué.

- Lundi 13 et mardi  14 décembre 1915 -

Journée assez calme. Nous l’employons à sortir les 7 cadavres de la galerie et à les transporter dans un boyau d’où nos camarades les enlèveront. Après ça nous sommes bien fatigués.

Enfin bientôt notre blessé et le cadavre sont enlevés. Nous n’avons donc pas reposé une seconde pendant cette nuit.

A peine rentrés – comme je me disposais à prendre quelque chose – on nous appelle pour 2 autres blessés de la 20 e, atteints par balles à la tête ; l’un d’eux n’a plus de connaissance et râle affreusement. A l’un et à l’autre j’administre les derniers sacrements, puis des équipes de nos brancardiers les emportent.
Travaux continuels pendant toute la journée. A peine couchés, on nous appelle pour un malade de la 17e. Il est déjà mort à notre arrivée. C’est encore un compatriote (Estivals). ( Pierre Henri lt Estivals, né le 29/07/1877 à Cassagnes (12 )).

Son frère assiste à son dernier soupir, et quand j’arrive, on est en train de lui enlever les objets qu’il porte sur lui. Sa mort a été foudroyante. Aussi n’ai-je pas pu arriver à temps pour lui administrer les derniers sacrements. Heureusement, je sais que c’était une âme préparée à la mort. Quelle tristesse pour ce pauvre frère de le voir mourir ainsi de misère et de froid ! Nous enlevons sa dépouille et amenons en même temps un camarade transi de froid pour le conduire au poste de secours. Le reste de la nuit est tranquille.

- Mercredi 15 décembre 1915 -

Lever assez matinal. Nous allons enlever encore quelques cadavres que des camarades emportent pour leur sépulture. Un Boche se trouve parmi eux, on l’a retiré de nos lignes.
Dans la matinée, aidé par un camarade, j’enlève d’un point dangereux du parapet, le cadavre d’un autre soldat du 81 e. Heureusement Dieu m’a gardé !
Tranquillité relative pendant la soirée. Je parcours la 1 ère ligne : tous nos chers poilus sont très fatigués, ils ne tiennent plus sur leurs jambes.  Sept jours d’angoisse, de privations et de souffrances de toutes sortes les ont réduits en un état pitoyable. C’est bien triste.
Notre colonel qui, pour la première fois, est venu inspecter la ligne, n’a pas pu trouver un mot pour encourager ces pauvres diables ; il a seulement fait la réflexion qu’ils avaient la capote sale ainsi que les armes. Quelle insanité !

- Jeudi 16 décembre 1915 -

Quelques rayons de soleil viennent nous réchauffer un peu le cœur et aussi le corps, car le froid est sec : il a gelé fort. Toute la journée se passe à attendre la relève. A 14 h, on fait évacuer la tranchée pour exécuter un tir de démolition sur les lignes ennemies. Fort heureusement, il n’a pas lieu, car on aurait pu encore avoir du mal. A 16 h, je suis relevé et me rends au poste de secours d’où je suis envoyé au poste central pour porter du matériel. La relève se fait sans encombre, sans accident ni incident. C’est le 81 e qui nous remplace : peu d’enthousiasme chez eux, car ils ont bien souffert et ils redoutent l’attaque pour laquelle, peut-être, on les fait remonter.

Au repos, à Somme-Suippe.

Soupe à 21 h en passant aux cuisines. Nuit fraîche, marche pénible à cause de la fatigue. Longue suite de trainards. Arrivée à Somme-Suippe à 1 h du matin. Restant de la nuit paisible. On dort bien sur notre poignée de paille.

Église de Somme-Suippe.

- Samedi 18 décembre 1915 -

Rien à noter. Correspondance pendant la journée.

- Dimanche 19 décembre 1915 -

Ste-Messe à l'heure habituelle. Nous recevons la visite des amis Palayret et Pascal. A 9 h, on assiste avec eux à la messe militaire. En sortant je fais une heureuse rencontre à laquelle j'étais loin de m'attendre. Je tombe sur mon grand ami l'abbé Albouy du diocèse de Dijon, avec lequel je me suis lié à Marseille pendant mon service. Quelle joie pour nous deux ! Depuis longtemps je songeais à l'idée de m'informer de ce qu'il était devenu depuis le début de la guerre. Et voilà que Dieu l'envoie sur mon chemin, bien mieux, il m'apprend que depuis quelques temps il travaille dans notre secteur en qualité de margis (maréchal des logis) bombardier. Après la grand-messe à laquelle il va assister, nous déjeunons tous ensemble et, mon Dieu, le menu n'est pas mauvais. L'abbé Albouy nous paie ensuite le champagne et le café chez une connaissance. Après quoi je vais l'accompagner en dehors du village et à 14 h je vais assister aux Vêpres. En sortant, rencontre de Bernat à cheval ; nous lui faisons mettre pied à terre et ensemble nous dégustons une bonne bouteille. Puis a lieu la séparation. C'est vraiment une bien bonne journée que Dieu nous a permis de passer. Le soir manille avec les amis jusqu'à 20 h.

- Lundi 20 décembre 1915 -

Rien à signaler. On annonce notre départ au grand repos pour un de ces jours, mais aucune précision. D'aucuns redoutent de remonter aux tranchées ici même. Attendons les événements...

- Mardi 21 décembre 1915 -

Temps pluvieux et froid. Dans l'après-midi je vais voir mon ami Albouy, margis bombardier, sur la route de Perthes : occasion de voyager au train de combat pour le service ( ?). Retour dans la nuit noire. Salut à l'église. Rien ne se précise relativement à notre départ, mais il semble de plus en plus probable que nous irons au repos.

- Mercredi 22 décembre 1915 -

Ste-Messe comme à l'ordinaire. Enfin on nous invite à nous tenir prêts pour partir cet après-midi. A 13 h 30 nous embarquons en effet en camion-auto. Voyage peu intéressant, mais pas trop fatigant tout de même. Nous passons par Somme-Tourbe, Somme-Bionne, Auve, Herpont, puis la nuit arrive. Impossible de voir les villages, ni de connaître leur nom. Nous nous dirigeons vers le sud-est de Châlons. A ... km, notre machine nous laisse en panne ; nous prenons place sur une autre. Au bout d'un quart d'heure, du reste, nous arrivons à destination. Nous sommes à Dampierre-sur-Moivre : tout le monde descend ! Longue attente sous la pluie et dans la boue en attendant que soient reconnus les cantonnements. Pas trop mal logés ! Le village a l'air paisible. Nous avons la joie de voir qu'il y a une église. ( Dompierre est à une quinzaine de Km à l'Est de Châlon-sur-Marne).

Église de Dampierre-sur-Moivre

-  Samedi 25décembre 1915 -

Encore 3 messes dans la matinée. Assistance bonne, mais pas aussi nombreuse qu'à la messe de minuit. Une seule personne fait la Ste Communion parmi la population civile. C'est pitoyable ! Vêpres chantées avec entrain. En m'y rendant, j'apprends que je pars en permission ce soir.

Suite du récit :    Première permission.