Alsace #2 du 19 novembre 1917 au 30 décembre 1917 - 96e R.I. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Alsace #2 du 19 novembre 1917 au 30 décembre 1917 - 96e R.I.

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Aux premières lignes, zone de Burnhaupt.

- Lundi 19 novembre 1917

Réveil à 3 h. Départ à 4 h. Vers 5 h 30 nous arrivons au P.S. situé au moulin de Schuller, un moulin en ruine sur les bords de la Doller, petite rivière roulant tranquillement ses eaux sur son lit de gros cailloux roulés. Les lignes sont bien à près de 1500 m de ce poste, attenant au P. C. du bataillon.
A peine installé, je vais faire ma tournée en ligne. Je me propose de la faire tous les matins, même de temps en temps le soir. La journée se passe sans incidents, c’est calme. Le bois abonde partout, aussi on peut se chauffer à peu de frais pendant la longue veillée. Eclairage électrique, mais intermittent.

- Mardi 20 novembre 1917

Sainte Messe à 5 h 30 à la petite chapelle installée dans un grand vestibule à courants d’air au centre du moulin. C’est la seule heure de la journée où nous soyons un peu tranquilles. L’abbé Jouanno vient de la compagnie de réserve célébrer aussi le Saint Sacrifice.
Dans la journée, je fais deux fois le tour des lignes, ce qui ne m’empêche pas de réciter mon office et mon chapelet, ainsi ma journée est bien remplie. Le soir, on joue une petite partie de cartes pour passer le temps.

- Mercredi 21 novembre 1917

Rien de spécial à noter.
On semble hâter les préparatifs de l’attaque qui doit avoir lieu vers la fin du mois sur la tranchée et le bois du « Kalberg ». On veut, parait-il, faire gagner la fourragère au 122 e d’infanterie.


- Jeudi 22 novembre 1917

Rien à signaler en dehors du petit train habituel.

- Vendredi 23 novembre 1917

On commence déjà à dire que l’attaque projetée sur le Kalberg n’aura pas lieu ; il paraît que les Boches sont déjà trop bien renseignés et que, par conséquent, on craint trop d’aller à un échec ; peut-être y a-t-il en réalité d’autres raisons. Le fait est que les canons de tranchées ainsi que les projectiles arrivés en grand nombre ont été à nouveau transplantés en arrière.
Au fond, nous n’en sommes pas mécontents, car ces affaires-là sont toujours désagréables.
Je vais au poste de secours du bataillon de gauche, au point où devait se faire l’attaque. Le secteur est moins agréable que le nôtre, plus humide, moins bien organisé.

- Samedi 24 novembre 1917

L’abbé Jouanno part en permission de 10 jours. Donc je serai seul pour assurer les messes demain. Je démarche auprès du commandant pour qu'il fasse descendre l’abbé Ressiguier au moulin : il y dira la messe de 8 h. J’irai moi-même en dire une à la 5e compagnie et l’autre à la 7e.

Lettre de Grialou à Ernest.

Le 24 novembre 1917                                                                    Bien cher Olivié,



     

  Ta bonne lettre du 6 est venue me trouver juste au moment où on nous annonçait que le 237e allait être dissous. C’est maintenant chose faite. J’ai bien regretté ce bon régiment dont le colonel avait réussi à faire une grande famille. J’aimais surtout ma compagnie, la 14e , où j’étais l’officier le plus ancien et connaissant le mieux les poilus. Mais la guerre est faite de séparations, et souvent bien plus terribles que celles-là. J’ai pu amener avec moi les deux séminaristes qui étaient à ma compagnie, et mon meilleur camarade parmi les officiers est au même bataillon que moi. Je suis affecté à la 3e Cie du 75e Rég.
Mon nouveau milieu paraît assez sympathique. Le colonel est paraît-il très chic, le chef de bataillon un peu fantasque mais bon ; les autres officiers de bons camarades. Le médecin du bataillon est un fervent chrétien qui fait la Ste Communion chaque matin. Avec cela, deux

prêtres au bataillon, dont l’un infirmier, l’autre faisant fonction d’aumônier. Ce dernier, qui a un peu des allures monastiques, paraît assez peu débrouillard. Mais ne faisons pas de jugements téméraires ; je crois cependant que j’aurai de la peine à retrouver un aumônier comme celui du 4e Bataillon du 237e R. C’était un phénomène dans son genre : très débrouillard, saint prêtre, ayant toujours le bon mot pour rire, bien avec tout le monde, surtout avec les voyous qui ne lui auraient jamais manqué de respect, en un mot l’aumônier des poilus.
 J’ai été heureux d’apprendre que tu te trouvais dans un secteur tranquille, tant mieux pour vous. Nous sommes actuellement au repos à 25 km de Paris et un de ces jours, j’espère aller voir Estéveny qui est près de Coulommiers. Nous causerons un peu de tous les amis.

Je n’avais eu encore l’occasion de te féliciter pour ta citation lors de l’attaque. Tu es en train de devenir un as mais tu es trop modeste.   Continue à prier pour moi. Je ne t’oublie pas de mon côté. Bien affectueusement à toi en NS
Grialou – 3 e Cie - 75 e Rég. - SP 114.

- Dimanche 25 novembre 1917

Tout se passe très bien. Notre messe de 8 h est fort intéressante : du chant, de la musique et surtout une bonne assistance. L’abbé Ressiguier adresse quelques bonnes paroles aux soldats. Aux deux autres messes, l’assistance était médiocre ; il y a vraiment peu d’émulation pour une chose si importante.


- Lundi 26 novembre 1917

Subitement, le secteur devient plus agité. Les Boches se mettent à bombarder certains points du secteur. D’abord le « moulin » reçoit 3 obus qui ne commettent point de dégâts. Les sections de réserve de la compagnie de gauche en reçoivent aussi plusieurs, mais c’est surtout sur le bataillon de gauche que les Boches envoient leurs plus belles marmites ; ils manifestent bien par là qu’ils sont renseignés sur notre attaque, le point où elle doit se faire, ils semblent bien ignorer en revanche qu’elle n’aura pas lieu.   
On signale en gare de Mulhouse, l’arrivée d’une multitude de trains. En même temps qu’ils bombardent la ligne, ils arrosent aussi copieusement les emplacements de batteries des environs de Michelbach et de Guewenheim : ce dernier village notamment reçoit de temps à autre des obus en plein cœur ; il est si près des lignes. Les Boches doivent si bien savoir qu’il y a des troupes en réserve, que seule la présence des civils au nombre de 400 dans le village les empêche de le détruire de fond en comble.


- Mardi 27 novembre 1917

Le bombardement boche continue, on n’est plus en sécurité en dehors des abris parce que les obus arrivent en rafale tantôt à un endroit, tantôt à un autre, mais surtout le long de la Doller et sans discontinuer sur le bataillon de gauche. Grâce à Dieu, nous n’avons pas de blessés.

- Mercredi 28 novembre 1917

C’est aujourd’hui que devait se faire l’attaque. Heureusement qu’elle n’a pas eu lieu. N’empêche que les Boches continuent à envoyer leurs marmites. Je continue à célébrer la Sainte Messe vers 6 h, ce qui permet à 2 ou 3 bons chrétiens d’y assister et d’y communier, aussi j’ai toute la matinée pour aller faire une tournée en ligne.
Le colonel va partir en permission et c’est le commandant Escarguel qui va commander le régiment. On est sûr ainsi d’avoir un peu de tranquillité.

- Jeudi 29 novembre 1917

Rien de spécial à noter. Plusieurs blessés au 1er bataillon et au village de Guewenheim. M. l'abbé Couderc m'envoie un mot de ce dernier village, il me dit notamment combien M. le curé est gentil, hospitalier, tout à ses prêtres soldats. De sa part, il m'invite à chanter la messe à Guewenheim dimanche prochain. M. le Curé tient les orgues quand il a un prêtre pour célébrer la grand-messe.

- Vendredi 30 novembre 1917 -

Le 1er bataillon a un homme tué par une grosse marmite. L'arrosage continue sur la rive gauche par des obus de gros calibre. C'est miracle qu'il n'y ait pas plus de victimes.

29/11/1917 : En permission dans sa ville natale Quimperlé
l'abbé Eugène Jouanno envoie une carte postale
.                     

- Samedi 1er décembre 1917 -

Préparatifs de départ. Je dois pendant toute la journée promener des camarades du 3e bataillon venus reconnaître le secteur.

À Guewenheim.

- Dimanche 2 décembre 1917 -

Dès 4 h nous sommes sur pieds et peu à peu prêts à partir, mais la relève se fait attendre. Le poste de secours du 3 e bataillon n'arrive que vers 6 h. Nous avons à peine le temps de regagner avant le jour notre cantonnement de Guewenheim. Nous y sommes très bien logés.
A 7 h, je suis à l'église où je salue M. le Curé : il est en effet fort aimable. Il m'invite ainsi que M. l'abbé Ressiguier à dîner chez lui aujourd'hui. A 9 h, grand-messe civile et militaire : les soldats y sont nombreux, mais que de places vides cependant. M. le Curé parle à ses ouailles en alsacien, puis lit l'épître et l'évangile du jour en français ; cela fait grand plaisir à tout le monde. Je me proposais moi-même d'adresser un mot aux soldats, mais je ne le fais pas de crainte de prolonger trop cette messe qui a commencé tard. Les chants exécutés par les jeunes filles et quelques chantres sont très beaux ; notre médecin auxiliaire M. Leconte tient les orgues et de façon magistrale ! Elles sont très belles d'ailleurs, très puissantes. La messe est suivie du Saint-Sacrement. Il n'y a point, en effet d'autre office dans l'après-midi. Le soir, impossible de faire la prière et le salut à l'église qu'on ne peut pas éclairer à cause de la proximité des lignes ennemies.
M. le curé nous fait donc les honneurs de sa table avec quelle façon simple et aimable ! Décidément on est heureux d'avoir à faire à un tel confrère ! Il a un tel air de bonhomie avec sa forte stature, sa pipe à la bouche ! Il est grand fumeur. Il nous fait les éloges de l'esprit religieux de l'Allemand en général, de l'ordre et de l'organisation qui existaient partout avant la guerre : nous en sommes frappés à vrai dire depuis notre séjour en Alsace ! Il nous invite à aller passer la soirée avec lui. J'y vais en effet avec M. Ressiguier et un jeune confrère de Rodez, l'abbé Rouvier (2 e Armée), caporal au 2 e Génie. Ils sont cantonnés dans le même village. Je suis heureux de pouvoir vivre un peu avec ce cher ami qui est si abandonné dans un milieu des plus dévergondés. M. le Curé parle à nouveau de l'ordre et de la discipline allemande et admire surtout la façon dont les soldats en temps de paix étaient conduits, au point de vue religieux, conduits à la messe le dimanche, à confesse 2 fois par an. Il parait toutefois qu'ils n'étaient pas obligés de se confesser, mais ils devaient se rendre à l'église etc... Là-dessus, nous ne nous entendons pas trop, mais nous restons tout de même bons amis. D'ailleurs M. le curé me redit son profond amour pour la France, mais il déteste - à juste titre d'ailleurs - nos gouvernements impies et persécuteurs.
Sept ou 8 obus au moins sur le village pendant la soirée : un blessé grave aux mitrailleurs.

- Lundi 3 décembre 1917 -

Sainte Messe à 6 h 30. A 7 h je sers celle de M. Ressiguier. Pas grand-chose à faire pendant le restant de la journée. Le soir un peloton de la 7e compagnie va travailler en ligne. La neige se met à tomber pour de bon, la terre en est couverte. Encore quelques obus sur le village : ils ne font que des dégâts matériels, mais les gens s'affolent un peu. C'est d'autant plus préoccupant qu'il n'y a point ou presque d'abri de bombardement. Le soir, veillée chez M. le Curé.

- Mardi 4 décembre 1917 -

Rien de spécial à noter en dehors du bombardement habituel. Nous passons une partie de la journée à scier du bois pour M. le Curé. C'est intéressant et cela réchauffe, or il fait très froid.

- Mercredi 5 décembre 1917 -

Grande opération au presbytère : à 9 h, on égorge le cochon de M. le Curé. M. l'abbé Fontan se trouve là pour la circonstance, descendu des lignes je ne sais pourquoi. Nous nous amusons beaucoup plus que la pauvre victime. Le procédé n'est pas le même que celui qui est employé chez nous. On assomme la pauvre bête d'un grand coup de marteau sur la tête, après quoi on l'égorge ; il nous fallut néanmoins faire effort pour le maintenir en place et M. Ressiguier a prétendu depuis que, s'il n'avait pas été là, le cochon aurait bien échappé de nouveau.
Dans l'après-midi, nous scions encore du bois. Vers 14 h, 4 ou 5 obus du côté de la 7e compagnie. 5 blessés dont 1 grave : il perd beaucoup de sang, mais sa vie ne parait pas cependant en danger immédiat. L'auto l'emporte aussitôt à Masevaux.

- Jeudi 6 décembre 1917 -

Rien de spécial à noter : point d'obus sur le village. Soirée comme d'habitude chez M. le Curé, toujours charmant. M. Ressiguier m'annonce qu'il est affecté à l'emploi de sergent artificier au dépôt de munitions de la division qui se trouve ici à Guewemheim. Cela me chagrine car le bataillon perd ainsi un de ses prêtres et surtout l'organiste : cette perte nous est d'autant plus sensible que M. Leconte, notre médecin auxiliaire est déjà parti ; nos cérémonies perdront certainement de leur intérêt. Nous ferons tout de même en sorte que le Bon Dieu y trouve son compte et puis tant pis pour les artistes qui ne trouveraient plus leur part dans nos offices. Déjeuner chez M. le curé.

- Vendredi 7 décembre 1917 -

Nous serons encore ici dimanche. Nous n'allons partir que lundi matin pour nous rendre à Rammersmatt où nous passerons une quinzaine de jours. Je suis bien content quant à moi, d'y retourner, car je sais que nous y recevrons bon accueil de M. le Curé et de la population et que nous pourrons faire nos réunions du soir à l'église. En attendant, je bûche mon petit sermon de dimanche. Je dois encore chanter la grand-messe. Ce matin, 1er vendredi du mois, beaucoup de communions à la messe, presque toutes les femmes du village et plusieurs hommes : c'est vraiment touchant. M. le curé me charge de célébrer la Sainte Messe, étant obligé lui-même de tenir les orgues, car on chante pendant et après cette messe, c'est très beau ! Je distribue au moins 120 communions, j'en ai froid aux doigts, mais je m'en réjouis.

Lettre d'Estéveny à Ernest Olivié, probablement envoyée des environs de Soissons.

5 Décembre 1917

Mon cher ami


Il se peut que j’aie omis de répondre à ta dernière lettre ; Je croyais l’avoir fait. Mais avant d’incriminer le service postal je préfère faire un mea culpa. C’est peut-être plus prudent et plus juste. Je suis tellement négligent par moments… Depuis une dizaine de jours mon existence est un peu agitée. J’ai été envoyé suivre à l’armée un cours de signalisation ; et c’est là, à l’école, pas très loin de la ville au vase historique que ta carte est venue secouer ma torpeur. Je travaille ferme (ne crois pas que je blague). Les matières du cours m’intéressent … J’étais nul en l’espèce … le cours est bien fait, intelligemment compris … Je fais même en amateur un peu de TSF. Aussi en dépit du bien-être matériel que j’ai dû abandonner pour venir passer ces quelques jours, je ne me fâche pas. Au contraire.
Ma chambre est moins confortable, mon lit moins moelleux, ma table plus frugale … Ça sent le front déjà. Mais au moins j’ai conscience de ne pas perdre entièrement le temps. Le cours se termine vers le 10. J’espère au retour rencontrer à Paris Grialou qui m’y a donné rendez-vous. Depuis deux ans je ne l’ai vu. Il est au repos pas très loin de la capitale. L’occasion serait excellente pour causer.
Labadie m’a écrit. Je lui ai répondu.
Tu me rappelles à propos que moi aussi je devrais écrire à Poujol. Il est loin. Une lettre de temps en temps rompt agréablement la monotonie de son existence.
Je ne veux pas te parler des événements militaires, tu me trouverais trop pessimiste. Malgré que je garde en la victoire finale une foi toujours ferme, je m’assombris quand je tache de sonder l’avenir. Je me demande si le Maître dont nous faisons fi étourdiment ne se vengerait pas de notre insouciance, de notre suffisante impiété, de notre indifférence. Quel pétrin, mon ami…
Que ces considérations n’ébranlent pas ton moral ; je me le reprocherais amèrement. Mais qu’elles nous redonnent un regain de piété. Nous sommes, nous, des hommes de prière et de sacrifice. Prions pour ceux qui ne prient pas … Offrons pour eux et en leur nom le sacrifice de notre discipline, de nos aises, de notre austérité de vie. Pour moi c’est peut-être ce dernier point qui est le plus pénible. De voir les autres autour de moi, qui s’agitent pour le plaisir et ne pensent qu’à s’amuser. Dieu sait comme, hélas ! je me sens isolé dans mon sérieux, dans l’innocence de mes plaisanteries et de mes distractions… Je n’y ai peut-être pas grand mérite à vivre ainsi, car somme toute, notre vie est bien plus belle, et plus calme et plus pleine de joie. La vertu a bien des charmes, n’est-ce pas, même naturels…Mais suis-je niais de te parler ainsi. Je ne te prêche pas. Seulement, je ne savais trop que te raconter ; alors j’ai soulevé avec toi un coin du voile de ma vie intime, et j’ai causé avec toi de mes préoccupations et de mes goûts. Prie un peu pour moi l’ami ingrat et oublieux de certaines heures…..
Veinard, qui peux tous les matins sacrifier. Je t’embrasse.     Signature.



- Samedi 8 décembre 1917 -

Rien de spécial à noter. Fête de l'Immaculée Conception dont la solennité est renvoyée à demain : beaucoup de communions cependant à la messe paroissiale.
Hier vendredi, un avion français est abattu par un Boche à 100 m environ du village : 3 passagers, 2 sont projetés hors de l'appareil et s'écrasent sur le sol à une certaine distance du point où tombe l'appareil. Le pilote tombe avec l'appareil et est carbonisé. L'appareil descend en flamme et achève de se consumer sur place. On va chercher 2 des cadavres, le 3e est recueilli par le 56e d'artillerie. On apprend que ces trois aviateurs n'étaient pas en service commandé, mais en promenade de plaisir, tragique promenade hélas ! Ils sont cruellement punis. Une auto vient chercher leurs corps aujourd'hui samedi.


- Dimanche 9 décembre 1917 -

Grand-messe à 9 h. Comme dimanche dernier, plus nombreuse assistance militaire, il reste pourtant encore des places libres. Après M. le Curé qui a parlé à ses ouailles en alsacien ; j'adresse quelques mots aux soldats : naturellement je leur parle de Marie, puisque c'est aujourd'hui la fête de l'Immaculée Conception. Après la messe, bénédiction du Saint Sacrement, terminé par le chant d'un cantique français exécuté par les chanteuses du pays, cela fait dresser la tête et les oreilles à notre brave commandant Escarguel. C'est ravissant en effet d'entendre chanter des cantiques en français par ces voix à l'accent encore gauche et très imparfait. M. le Curé m'a dit toutes les difficultés qu'il avait eues pour former son chœur à apprendre ces chants auxquels aucune d'elles ne comprenait rien, puisque le français était pour elles inconnu.
A 10 h 30, petit spectacle : beaucoup d'avions depuis ce matin voguent dans les airs. Tout à coup on entend le tac-tac d'une mitrailleuse et immédiatement on voit un des oiseaux boches

qui survolait un peu à gauche le village, tournoyer sur lui-même ; on voit une aile et des lambeaux de toile qui voltigent, emportés par le vent, et l'avion va aussi s'écraser sur le sol dans les bois au-delà de la Doller ; c'est la revanche de la journée d'avant-hier. Nous sommes contents !
A 11 h 30, dîner au presbytère. M. l'abbé Couderc est lui aussi invité, ainsi que M. le Directeur de l'usine de Guewenheim. Dîner copieux et la bonne humeur règne autour de la table : on cause de mille et une choses ! Le soir nous passons encore la veillée chez M. le Curé, je lui fais mes adieux.

À Rammersmatt.

- Lundi 10 décembre 1917 -

Lever à 3 h 30. Je célèbre la Ste-Messe à 4 h, puis je la sers à M. Jouanno.
Départ à 6 h seulement. Le jour nous surprend à 7 ou 800 m du village. Nous arrivons à temps sur une crête pour recevoir de grosses marmites destinées à des batteries d’artillerie en position sur le bord de la route. Les éclats nous passent par-dessus la tête. Nous traversons Roderen et arrivons à Rammersmatt vers 7 h 30.
Toute la matinée se passe à nettoyer le poste de secours que le 81e a laissé en très mauvais état. Tous les cantonnements ont d’ailleurs été laissés très malpropres, c’est écœurant de voir cela. Quel esprit de camaraderie !
Visite à M. le Curé après la soupe. Bon accueil, mais moins empressé que d’habitude. On ne sait pas ce qui leur passe par la tête, à ces gens-là !
Le soir à 5 h 30, nous organisons notre petite cérémonie que nous allons faire tous les soirs. Petite assistance. C’était imprévu, car je leur avais annoncé l’heure hier. A défaut de l’abbé Ressiguier, M. Jouanno tient les orgues tant bien que mal.
Ce soir les journaux nous apprennent la prise de Jérusalem par les Anglais, c’est un heureux événement. « Deo gratias ». D’autre part les affaires de Russie marchent très mal et en Italie médiocrement.

- Mardi 11décembre 1917 -

Temps sombre. M. Jouanno célèbre sa messe à 6 h et moi à 6 h 30. Ensuite corvée de quartier suivant notre habitude. Tranquillité ordinaire. Réunion du soir un peu plus nombreuse. Les journaux nous annoncent ce soir l’entrée à Jérusalem du général Allemby.

Lettre de Clémence à son frère.

La Badie ce 11 décembre 1917

Bien cher Frère,

Je réponds à ta bonne lettre que nous avons reçue il y a …
Notre santé va bien pour le moment. Le froid commençait à se faire sentir. Aujourd’hui, il est même tombé de la neige, mais elle n’a fait qu’une boue. Aujourd’hui nous avons reçu une lettre de Marius nous disant être toujours en bonne santé. Il pensait venir en permission dans une dizaine de jours ; il serait ici à la Noël. Si nous pouvons y faire gagner cette fête, peut-être le fera-t-il pour contenter Maman.
Nous avons tué les oies, nous t’envoyons un colis pour te les faire goûter ; j’espère que tu as reçu les châtaignes.
Baptiste est venu hier, ils vont tous bien. On a assassiné une pauvre tante de Louis de la Galite, tu sais bien, cette maison qui est près de Tols. La pauvre femme était toute seule. On pense qu’on l’a tuée et puis on a mis le feu à la maison ; on n’a trouvé que quelques os. Je ne sais ce que nous deviendrons, on ne fait que voler ou on vous tue pour un rien. Baptiste était le premier à son secours, mais tout avait brûlé.
Au revoir, cher Ernest, prie pour qu’il ne nous en arrive pas autant à nous ; nous sommes seules.
Reçois de nous deux nos plus tendres baisers.

Clémence Olivié


Lettre du curé de Glassac.

Glassac le 11 décembre 1917

Mon cher ami,

Dimanche j’ai reçu votre aimable lettre. On vous lit toujours avec joie parce que votre plume apporte, outre l’expression, des sentiments qui font plaisir, un témoignage de bonne santé et d’excellent entrain au milieu de vos privations et de vos dangers. Avant que se refroidisse l’impression que fait naître un chaud attachement dans la lecture de votre correspondance, je prends mon papier, lui confiant un cordial entretien.
 En pensant à votre situation, cher ami, j’ai reporté souvent mes souvenirs vers ces chrétiens dispersés dans les légions païennes de Rome. Ils y acquéraient, par leurs mérites et leurs vertus, la grâce de la conversion pour des camarades incapables par eux-mêmes de les comprendre et de les suivre. Sans doute le milieu où vous êtes jeté est moins païen, mais vous êtes prêtre et autour de vous votre caractère vous distance au point de laisser incomprises vos souffrances morales ; ne peuvent pas être saisies davantage les incompatibilités de votre ministère avec les devoirs étranges que la guerre nous impose. Le contraste de situation sera bien compris et hautement récompensé de Celui qui scrute les reins et les cœurs. Vous pouvez  redire avec confiance le  …( ?)  de St Paul. Du fond de vos tranchées, rien n’échappe à celui qui « protège sous ses ailes comme la paupière de l’œil ».

L’abbé Estivals est employé dans un bureau ; il n’a pas écrit depuis assez longtemps. Il est vrai qu’il doit correspondre copieusement avec les nombreux membres de sa famille. (voir le courrier ci-après, du même Estivals)
Samedi 1er décembre nous arrivait à Glassac, sans être attendu, le pauvre curé de La capelle. Clopin-clopant, c’est le cas de le dire, il s’amenait de la gare par le train de cinq heures du soir avec deux béquilles. Dans le lieu, il se fit conduire par une personne au presbytère. Il craignait de tomber dans la boue, et lorsqu’il tombe, il ne peut se relever tout seul. Cette vue subite fit naître les émotions les plus diverses. La figure est plus fraîche qu’avant la guerre, moins congestionnée parce que moins rouge. Ces apparences physiques déconcertent toutes les idées qu’on avait pu se faire au récit des souffrances, des étapes qui ont marqué la vie de guerre de ce  confrère. C’est une constatation ( ?) qui est d’autant plus agréable qu’elle n’était pas prévue. Mais lorsque les yeux se portent sur les béquilles, sur ce moignon de 17 cm de la jambe droite, au souvenir de l’agilité et de la vitesse qu’avait données M. N…, on se sent saisi d’un serrement de cœur et on comprend mieux la fragilité humaine. Le pauvre amputé a quinze jours de congé : après seulement, avec la remise de l’appareil définitif, aura lieu la réforme. On lui discuterait le droit à la pension.

Le dimanche matin, il dit une messe privée à Glassac avec ses deux béquilles. On vint le prendre avec une voiture dans l’après-midi. En allant dire sa messe à Lacapelle, il prit un billet de parterre, mais sa sœur l’aida à se relever. La boue ou les pentes trop rapides font glisser les béquilles ; aussi se fait-il accompagner dès que le chemin est moins sûr ; ses béquilles d’ailleurs lui forcent les bras jusqu’à les paralyser.
 Hier nous avions une couche de neige ; j’ai dû aller à Balsac chercher du blé … du pain pour le pauvre Tamalet devenu de borgne à presque aveugle. Sur le Causse, il y avait bien 15 cm de neige. Le blé ne se trouve pas facilement, et nos imprévoyants doivent aller prendre le pain à Goutrens, à Clairvaux ou à Valady, au risque de ne pas en trouver et de faire des répétitions de chemin.
A Cransac, deux ou trois fois, les boulangeries ont été insuffisamment approvisionnées. La foule les entourait avec menaces et impatience. Trois heures de stationnement montraient les vrais sentiments qu'éprouvent les ventres affamés qui ne connaissent pas la conscience.

Les journaux vous parleront du crime affreux et symptomatique qui a été commis vers la Côte d'Hymes, sur la commune d'Auzits (Nota : c'était la maison de "la Galite", sous le village d'Hymes. Une femme y fut tuée, et sa maison brûlée, probablement pour voler son argent. Le coupable ne fut jamais pris.)
A Glassac, nous sommes plus respectueux de la vie humaine. T... de X... a pourtant mis les tribunaux au service de ses poules. Treize bipèdes de sa population volatile avaient passé de la vie à trépas. Il prétendait même avoir senti une forte odeur de plumes brûlées, provenant sans doute de la disparition des indices révélateurs. Sur cette odeur inspiratrice, il allait trouver le juge lorsqu'il eut remarqué que sa dinde, à son tour, avait disparu elle-même. Le Magistrat à Escandolières lui dit : si vous aviez appelé les gendarmes à la moindre trouvaille que vous feriez, les coupables pourraient être saisis. C'est le corps du délit des gendarmes. Cette proposition souriait fort à un homme dévoré comme T... de la soif de la Justice. Mais les gendarmes étaient loin ; ils pouvaient être en tournée ; pour les prendre, les attendre et les emmener, il fallait peut-être plus de temps que n'en demanderait la consommation de la dinde. Pour n'avoir jamais été théologien, T... en son cas perplexe devint tutoriste (?). Le garde, un délégué du maire, C... de Y. et deux auxiliaires formèrent rapidement son escorte. Plus qu'un autre, vous savez ce qu'est un assaut. Faites-vous, à travers les kilomètres, une idée de celui qui se livra à X... autour de la dinde en question et en litige. La petite colonne se divisant les rôles, cerna la maison, pénétra par surprise par la porte d'entrée. La mère se réfugia dans le séchoir à côté pour s'y barricader et se rendre invisible. D'abord assise sur la dinde, la fille seule se mit en position de bataille avec une bûche pour arme. Mais durant le corps à corps qui suivit, la dinde enfin se montra toute plumée, vidée et prête à recevoir l'opération du feu. T... lâcha tout pour se jeter sur sa bête, l'emporta en lieu sûr, et l'objectif étant totalement atteint, il donna le signal de la retraite. On dit que c'est C... qui la protégea en qualité d'officier municipal et qu'il reçut quelques coups de bâton de plus que les autres.
Pauvre T...  ! Lorsque l'émotion fut passée et que la réflexion eut repris son temps, il se rongea lui-même de remords. S'il avait été prendre la gendarmerie au lieu d'une dinde, il sortait trois têtes à la fois, une dinde et deux ausselles
( ?). Les recherches fructueusement faites, les gendarmes arrivèrent mais ils furent très mal reçus. La verbalisation eut lieu, et l'affaire s'en alla à Rodez pour être jugée au correctionnel. Madame Thémis peut donc sortir ses balances.
Une autre matière a été donnée aux juges. Ici pas de volatiles mais des ruminants et des cris avec des coups de femme. Une Capellanne, voyant des moutons de P... de Z... dans sa luzerne, prit le petit troupeau, le conduisit chez le garde d'Escandolières qui le refusa, chez un aubergiste du lieu qui n'eut pas de place, enfin chez L...  (Eh) d'Aussibal. Mais les pauvres bêtes avaient été conduites au cours de ces divers refus avec toute la mauvaise humeur possible, si bien que le lendemain matin l'une d'elles avait crevé. P... rentrant chez lui et constatant que son cheptel s'était amoindri, refit le chemin de son troupeau. Il se dirigea même chez le juge, qu'il chercha en plus d'un endroit, même derrière les cuves de l'atelier à cidre de T2..., où on travaillait pour son compte. Un accommodement était encore possible, lorsque les femmes électrisées partirent sous l'animosité du bout de la langue, et la langue ne suffisant plus à broyer du gros, les poings s'en allèrent au secours des insultes. Jugez de ce combat crépu où une seule soutenait les attaques de deux adversaires ! Les journaux nous diront bientôt ce qu'ont pensé les juges de cette guerre peu meurtrière.
Nous avons cinq Glassacois sur le front de Salonique, et pour le moment quatre de ces thessaloniciens sont ici en permission : Joseph Andrieu et Pierre Rieu, Adolphe Marre et Germain Garibal. Celui-ci, blessé à Monastir après avoir passé l'hiver et l'été dans les hôpitaux, traîne une jambe abîmée. Il sera sans doute réformé. Nous avions ici Cardaillac, sortant des hôpitaux pour trente jours de congé après une opération de hernie. Alfred Tamalet écrit de l'hôpital qu'il a l'influenza et qu'il aura un congé en sortant de l'hôpital. Aurait-il plus qu'une grippe ?
Nous avons fait un chrétien de plus chez S... ; son n° 10 ; chez D...de B..., la liste de baptême se clôturera sur le 7 ème . Pour un temps de guerre, il n'y a pas à se plaindre. Le curé d'Escandolières rentrait de son congé de sept jours lorsqu'il se trouva nez à nez à Séverac-le-Château avec le curé de Lacapelle. Une agréable surprise pour les deux.
Je n'ai pas de nouvelles de la Badie où, je crois, tout est à l'ordinaire. Je me propose d'y descendre sans tarder. En attendant le plaisir de vous lire de nouveau, cher ami, je vous envoie l'accolade fraternelle.    I. Ladet
M. l'aumônier de l'Hospice de Rodez est remplacé par M. Brugié, curé de St-Georges-de-Luzenac, et le curé de Recouls, remplaçant de M. Revel, va remplacer à St-Georges. L'abbé Antérieux est chez son oncle, réformé. On lui a dit de se présenter dans un mois afin qu'on lui donne de la besogne spirituelle.
J'ai oublié de vous dire que les bureaux de tabac sont aussi malmenés à Cransac que les boulangeries. Pourtant il y a tant de fumée à Cransac !


Lettre d'un ami, très probablement Estivals, d'après l'analyse graphologique. Gabriel Estivals, qui a été blessé aux deux jambes à Verdun le 19 mars 1917, écrit depuis un hôpital près de Bordeaux.

11 décembre 1917


Mon cher Ernest

Merci de ta longue et intéressante lettre. Tu m'édifies sans t'en douter. Il m'est souvent revenu en pensée que tu m'as confié un jour, aux abris Baudot, que tu récitais tous les jours ton rosaire. Tout office au front a un mérite dont on ne se doute qu'après coup, comme moi, lorsque, à l'arrière, on trouve moins le temps qu'au front de le réciter. Quelles bonnes heures pour l'éternité, et pour le salut des hommes que celles d'un prêtre soldat, au front. Encore une fois, on ne s'en doute pas.
Ici, je n'ai que peu l'occasion de faire quelque ministère ; cependant M. et Mme Directeur et Directrice ont voulu à deux reprises que j'adresse la parole à quelques soldats et civils à la messe du dimanche. C'était pour moi du nouveau et comme de l'inconnu ; après trois ans passés de farniente intellectuel, on n'a plus le courage de prendre une plume, même pour tracer un plan.
 Un général est venu nous visiter samedi. Il a fait évidemment une visite inopinée, mais connue de tous à l'avance. Aussi, avait-on soigneusement disposé sur sa route toutes les variétés du travail agricole adapté aux diverses blessures : taille et arrachage de vigne, transport à la brouette, labour ; je jardinais à la sarclette. Le major lui avait indiqué ma blessure, mais il s'est trompé de jambe, alors pour tout arranger, j'ai dit que j'étais blessé aux deux, ce qui est vrai d'ailleurs. Comediante... Le tout pour obtenir des blessés dans le centre de mécanothérapie. Le Graves supérieur dégusté sur la visite aura-t-il achevé la démonstration de la supériorité de la cure agricole ? Je l’espère pour le savant (nul) professeur qui dirige la mécano de la 18 e Région et qui verra, pour son bonheur, son centre se repeupler de blessés.

M. Ladet (le curé de Glassac)me fait dire par ma sœur qu’il attend d’avoir ma nouvelle adresse pour m’écrire. C’est un rappel à l’ordre. Je vais m’exécuter aussitôt que les lettres pour le front seront terminées. Tu n’as pas encore songé à m’envoyer ta dernière citation. Ce n’est pas bien. Je l’attends.
 Je lis, car les loisirs sont nombreux. Hier, je me suis rendu à Bordeaux pour accompagner des Sénégalais quittant l’hôpital, et me suis rendu au cinéma. C’était comble. « Fédora » était la grande attraction. C’est le crime. C’est tout ce qu’on veut, hors du bon sens. Cela fausse l’esprit autant que le théâtre corrompt le cœur. Mais ainsi s’oublient les soucis de la vie réelle.
 Que pense-t-on des événements actuels au front ? Rien sans doute, comme ici. On en parle très peu. Autrefois, il semblait que tout le monde se sentait capable d’avoir une opinion. Depuis la désillusion de la guerre, je crois que chacun se sent incapable d’émettre et de soutenir une opinion ferme sur quoi que ce soit.
 Je te serre bien affectueusement la main, et prie Dieu de te conserver toujours aussi fervent et …..



- Mercredi 12 décembre 1917 -

Rien de spécial à noter.


- Jeudi 13 et vendredi 14 décembre 1917 -

Je bûche dur un petit sermon pour dimanche prochain, car je me propose de célébrer la messe militaire. Je prends le texte de l’Evangile du 3 e dimanche de l’Avent.

- Samedi 15 décembre 1917 -

Les journaux nous annoncent que les Boches vont pouvoir nous amuser sur le front occidental, car la lâcheté des Russes leur permet de délivrer un grand nombre de divisions. En Italie ils vont reprendre une grande offensive. A la grâce de Dieu ! Ici le secteur n’est plus calme, l’artillerie est très active partout, beaucoup de coins qui n’avaient jamais reçu d’obus en sont arrosés à présent.

- Dimanche 16 décembre 1917 -

M. Jouanno célèbre la messe de 7 h ; quelques communions de soldats. A 8 h 30, grand-messe que je célèbre moi-même : je me tire bien de mon petit sermon, malheureusement ceux qui auraient le plus de profit à m’entendre ne sont pas là ! Il manque beaucoup de poilus du bataillon, hélas ! Mais le groupe de ceux qui sont là se tient très bien et les chants sont bien exécutés. C’est très beau ! Dieu ne peut que bénir ces braves gens qui, malgré leur lassitude, viennent se recueillir auprès du tabernacle.
Après la soupe, nous allons avec M. Jouanno nous promener à Roderen ; nous visitons l’église où nous récitons les vêpres. Puis nous partons à Bourbach pour assister aux vêpres de la paroisse. Nous arrivons juste à temps. On éprouve du plaisir à entendre ces chants si bien exécutés, à voir la bonne tenue de toute l’assistance sous l’œil sévère du suisse !

- Lundi 17 décembre 1917 -

Belle journée encore aujourd’hui malgré le brouillard du matin et le froid glacial de la journée. On espère être encore ici dimanche prochain et même peut-être ne montera-t-on pas en ligne de longtemps. On dit que nous serions relevés par la 32e division : vague espoir. Douches à Bourbach pendant la journée, je vais y faire un tour. Visite à M. l’abbé Couderc.

- Mardi 18 décembre 1917 -

Journée sombre, vraie journée d’hiver. Corvée de quartier le matin, repos l’après-midi. Prière et salut à 17 h 30 avec toujours le petit groupe de fidèles. Veillée de famille chez de braves gens du pays (famille Eshann : 7 enfants dont 3 filles et 4 garçons, père prisonnier civil en Allemagne).

- Mercredi 19 décembre 1917 -

Rien de spécial à noter ; le temps est toujours mauvais. Nos poilus vont travailler à poser du fil de fer à la faveur du brouillard intense.

- Jeudi, vendredi 20 et 21 décembre 1917 -

Il se confirme au contraire que nous montons en ligne pour relever la 122e. Donc, triste perspective de la fête de Noël et de la journée de dimanche qui devait être pour nos braves poilus leur jour de communion, suivant les conseils que je leur avais donnés dimanche dernier. Aussi, au salut du soir, j’invite le petit groupe de ceux qui sont là à s’approcher des  sacrements demain matin. 7 ou 8 viennent se confesser dès ce soir : au moins nos petites réunions du soir portent un fruit, bien petit hélas ! Bien au-dessous de ce que nous voudrions, mais puisque le Bon Dieu s’en contente, nous serions mal venus à nous en plaindre.

Carte postale d'Ernest à sa mère, et à sa soeur Clémence.

+ Ce 21 Décembre 1917


+ Ma chère maman, ma chère Clémence,

Je réponds  immédiatement à votre bonne lettre que j’ai reçue tout à l’heure : je suis très heureux que votre santé aille toujours pour le mieux : c’est là l’essentiel, tout le reste vient après. Je ne suis pas étonné que ce soit l’hiver là-bas aussi : ici, il y a déjà longtemps qu’on s’en aperçoit : c’est le pays du rude froid : mais on le supporte beaucoup mieux que les bombes ou les marmites. D’ailleurs on ne manque pas de faire de bons feux, grâce au bois qui est très abondant par là. Le froid est sec, car il n’a pas plu depuis assez longtemps : n’empêche que nous passons des journées entières dans le brouillard glacial. Ça ne fait pas d’ailleurs le moindre mal car je me porte …  Je vous envoie l’Almanach du pèlerin, une bague pour Maman fabriquée par moi.

- Samedi 22 décembre 1917 -

Plusieurs communions donc à nos messes. Journée de préparatifs. Pas de salut le soir. Visite d’adieu à tous ceux qui nous intéressent le plus dans ce village : à M. le Curé d’abord qui m’a payé un bon vin chaud, à l’instituteur, à la famille Eshann. On se couche enfin, car il faut se lever matin.  


Aux premières lignes.


- Dimanche 23 décembre 1917 -

Réveil à 24 h. Départ à 1 h 30 par une nuit noire et glaciale. Nous passons par Roderen. Route de Guewenheim et Michelbach. C’est très calme. On arrive en ligne vers 4 h. Poste très mauvais, pas du tout installé. Les camarades vont dormir un petit peu. Pendant ce temps, l’abbé Jouanno et moi célébrons la Sainte Messe dans une cagna abandonnée. Au jour naissant, je me mets en devoir d’installer un poêle pour essayer de chauffer un peu notre vaste abri. Toute la journée de dimanche passée à l’aménagement du P.S. Je vais faire ma tournée en ligne. Les Boches nous font tâter de leur ferraille à plusieurs reprises dans la journée.

- Lundi 24 décembre 1917 -

Rien de spécial à noter. Nous pouvons célébrer la Sainte Messe au P.S. mais peu de tranquillité pour cela : des poilus d’une section font grand bruit autour du seau de jus ; nous nous isolons pour le mieux avec des toiles de tente. Je puis néanmoins dans la journée réciter mon office avec matines et laudes de la grande fête de Noël que nous célébrerons Dieu sait comment ! Je suis fort embarrassé pour l’organisation des messes de demain. Nous n’avons pas de local approprié… naturellement pas de messe de minuit, pas de réveillon. On se couche d’assez bonne heure.

- Mardi 25 décembre 1917 -

Dès 5 h , nous célébrons « privatim » 2 messes, l’abbé Jouanno et moi au poste de secours. A 9 h, je dois en célébrer une 3e pour les poilus et à 9 h 30 l’abbé Jouanno au P. C. de la 5e compagnie. Tout marche bien : chacune de ces deux messes réunit un certain nombre de braves gens de la compagnie de réserve : nous chantons même quelques cantiques de circonstance : « Il est né le divin enfant », « les anges dans nos campagnes ». Au fond, je suis content, car du moins un certain nombre de camarades ont célébré Noël, mais hélas, combien n’y pensent même pas ou du moins ne pourront rien faire pour souligner comme il conviendrait ce jour si grand et si beau ! Que Notre Seigneur est bon de descendre dans ces nouvelles étables de Bethlehem, ces méchants abris. Quelles grâces il doit verser dans le cœur de ces braves poilus vêtus de peaux de moutons, tels les bergers de la crèche !…
Après-midi triste, de la neige, du verglas, point de soleil ; je vais rendre visite à M. l’abbé Tersy du 81e qui se trouve à la droite du régiment au P.S. des Carrières. Nous passons quelques bons moments ensemble. Le 81e doit faire « un coup de main » demain matin à 8 h.  Ça tapera par conséquent.

- Mercredi 26 décembre 1917 -

Réveil bruyant à 5 h 30. C’est le coup de main qui se fait. Ça tape peu de notre côté. On apprend le résultat pendant la journée. Deux prisonniers ramenés, sans aucune perte de notre côté. Les Boches sont tapageurs pendant toute la journée tout le long du secteur.

- Jeudi 27 décembre 1917 -

Rien de spécial à noter ; il fait toujours froid ce qui n’empêche pas les deux artilleries de taper ferme. Notre 3e bataillon va exécuter un coup de main prochainement : d’où préparation d’artillerie.

- Vendredi 28 décembre 1917 -

Visite à Michelbach où je retrouve deux confrères du G.B.D. parmi lesquels un compatriote M. l’abbé Delery et un lozérien M. Sartre, deux vieilles connaissances de Germonville.

- Samedi 29 décembre 1917 -

Le coup de main prévu s’exécute à 6 h, il donne lieu à un furieux bombardement sur tout notre secteur. Résultat : nous faisons deux prisonniers, malheureusement cela nous coûte un tué et 5 blessés. Mrs Couderc et Fontan s’y distinguent. Ils obtiennent, ainsi que les camarades des coups de main, une citation, 10 francs et une permission de 6 jours.



- Dimanche 30 décembre 1917 -

M. l’abbé Jouanno reçoit l’ordre d’aller à la Division, passer un examen de secrétaire d’état-major. Il en a fait la demande, ayant perdu 2 frères à la guerre. Il célèbre sa messe à 7 h. Je dois donc en dire deux moi-même, une à 7 h 30 et à 9 h, la 2 e au P.C. de la compagnie de réserve : petite assistance à l’une et à l’autre. Nous sommes soumis à un furieux bombardement comme d’ailleurs pendant la journée d’hier. C’est à croire que les Boches préparent à leur tour un coup de main.


Suite du récit : Alsace #3.

 
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