Au sud de Verdun - 322e R.I. - Laheycourt et Rembercourt-aux-Pots - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Au sud de Verdun - 322e R.I. - Laheycourt et Rembercourt-aux-Pots

1916 > Au front à Verdun

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- Samedi 15 juillet 1916 ( suite ) -


Au jour naissant, on se retrouve à Château-Thierry, et ce n'est qu'alors qu'on remarque que nous ne prenons plus la direction du Nord et de la Somme, comme on le croyait. Nous nous dirigeons carrément vers l'est.

Nota : le front étant dans le secteur de Reims, le train est d'abord parti en direction de Paris vers l'ouest, puis il est revenu vers l'est en suivant la Marne.

- Dimanche 16 juillet 1916 -

On ouvre toutes grandes les portes de nos wagons et nous humons l'air frais du matin. Ce n'est pas que nous ayons trop chaud, au contraire nous grelottons tous dans nos capotes. Au passage, nous revoyons Dormans, Châtillon s/ Marne où nous avons séjourné pendant notre grand repos des mois de décembre et janvier. Boursault, Damery, Epernay. On roule, on roule toujours. On passe sans arrêt à Vitry-le-François et enfin vers 14 h on arrive en gare de Révigny (sur-Ornain) où l'on débarque. Longue station sur le quai ; on touche le ravitaillement ce qui charge passablement nos sacs.
On prend la direction du front, plutôt de Bar-le-Duc. Marche longue et pénible. Révigny est à moitié incendié et détruit. On traverse ensuite Brabant-le-Roi et quelques autres bourgs, tous gracieux et encombrés d'autos, camions, et plusieurs aux maisons détruites. Nous marchons ainsi pendant près de trois heures.
Vers 17 h 30, on arrive enfin à Laheycourt, terme de notre voyage pour ce jour. Village de bon aspect : grandes fermes, entremêlées de maisons bourgeoises et de maisons à provisions pour les soldats. L'hôtel-de-ville a été bombardé et n'est plus qu'un monceau de ruines. L'église au contraire a un aspect magnifique et a eu seulement sa flèche descendue, parait-il, par un obus de 75. Nous sommes cantonnés ici pour combien de temps ? Nous l'ignorons. On est à peu près bien logés. Aussi, après une courte visite à l'église, je m'endors d'un bon sommeil réparateur.

- Lundi 17 juillet 1916 -

Lever vers 6 h. Je me dirige vers l'église déjà encombrée de braves poilus qui ont devancé le réveil pour venir prier. Beaucoup se confessent et communient aux diverses messes que nous célébrons. Journée relativement tranquille, on en profite pour se reposer. Le soir à 18 h 30, salut à l'église : nombreuse assistance, plusieurs confessions après la cérémonie. A 20 h tout le monde doit rentrer au cantonnement, les mess se vident : les "pandores" font bonne garde !...


- Mardi 18 juillet 1916 -

Ste messe vers 6 h 30, plusieurs confessions et communions encore ce matin. Journée pluvieuse et triste. Pas d'occupation bien précise : correspondance, visite à pied par les chemins détournés. Le soir à 6 heures, concert par la musique du 322e . Salut un peu retardé. Promenade courte avec Foucras et Ditte.


- Mercredi 19 juillet 1916 -

Réveil en sursaut à 5 h, départ fixé à 6 h 30. Le temps de monter son sac et de tout remettre en ordre et nous voilà partis sans pouvoir dire notre messe.

Il ne pleut pas, aussi il fait bon marcher malgré la boue. Dix bons kilomètres pour arriver à Rembercourt-aux-Pots, à une trentaine de km de Verdun. Au passage nous traversons plusieurs bourgs à moitié incendiés par les Boches lors de la retraite de la Marne. Pays aux gras pâturages, aux bois touffus et nombreux, c'est bien la Meuse. Rembercourt a plus de la moitié de ses maisons détruites. L'église magnifique a eu toute sa toiture incendiée par les Boches ; la voûte résiste encore, mais l'eau filtre à travers et la compromet. L'intérieur n'a pas été trop dévasté, mais la pluie y fait des ravages. C'est un monument du XV e et XIV e siècles de pur style ogival, je crois. On est même fort surpris de trouver un si beau monument dans un village aussi modeste.
Tout le 122 e  est avec nous, ce qui me procure la joie d'y voir beaucoup d'amis. Le soir à 6 h 30, petite réunion présidée par M. l'aumônier. Sommeil long à venir à cause de la chaleur et du bruit qui se fait dans les cantonnements.




*** FIN DU CARNET N° 7 ***




- Jeudi 20 juillet 1916 -


Réveil à 5 h 30. M. l'aumônier nous avait donné rendez-vous à l'église à 6 h. J'y suis à l'heure dite et nous sommes devancés par un certain nombre de soldats, du 122 e surtout. M l'aumônier entend des confessions jusqu'à 7 h. Pendant qu'il dit sa messe, je le remplace au confessionnal. Ainsi un grand nombre de poilus, dont plusieurs n'avaient pas fait leurs Pâques, ont pu faire leur devoir ; mais le 322 e a été pauvrement représenté parce que dès 5 h 30, ils ont dû partir à l'exercice.
Dans la journée, visite à M. l'aumônier. Journée tranquille pendant laquelle on s'aménage. Le soir à 5 h, concert  par la musique du 122 e. Salut à 19 h. Nombreuse assistance.


- Vendredi 21 juillet 1916 -


Grâce à l’intervention de M. l'aumônier auprès de notre colonel, les hommes sont laissés libres jusqu'à 8 h. Aussi beaucoup de confessions, communions ; nombreuse assistance aux diverses messes que nous célébrons à partir de 6 h. C'est vraiment bien

consolant pour une âme de prêtre.
Après les exercices, je vais aider les camarades aux douches. Rencontre du sergent Bernard du séminaire d'Albi.
Journée calme, sans incident, sans perspective marquée de départ. Le soir, concert à 18 h, bénédiction à 19 h et retraite à 20 h 30.


- Samedi 22 juillet 1916 -


A peu près comme hier. Confessions nombreuses le soir après le salut. Toujours des retardataires qu'on accueille à bras ouverts et qu'on est heureux de réconcilier avec le Bon Dieu. Vraiment cette perspective d'une vie dangereuse ouvre bien des cœurs à la grâce et réveille bien des bonnes volontés endormies.


- Dimanche 23 juillet 1916 -


La matinée est laissée libre jusqu'à 8 h ; aussi à toutes les messes basses, de 6 h à 7 h 30, nombreuse assistance. La plupart sont venus pour


communier, et c'est une grande joie pour nous de distribuer le corps sacré de N.S. à toutes ces bonnes âmes. A 8 h, messe paroissiale célébrée par un prêtre chargé de la paroisse. La population civile semble assez fidèle à ses devoirs. A 9 h 30, grand-messe militaire. Eglise comble. L'orchestre du 122 e  joue ce qu'il y a de plus religieux dans la musique sacrée. Chants bien exécutés et impressionnants dans cette vaste église à moitié ruinée.
L'après-midi, avec plusieurs amis séminaristes, nous allons nous reposer un peu dans un petit bois des environs où s'organisaient divers jeux et sports pour des soldats du 122 e. Nous assistons à ces parties intéressantes tout en dégustant une bonne bouteille qu'a bien voulu m'offrir M. l'Aumônier.
Musique à 18 h. Salut solennel à 19 h. Encore quelques confessions. Nos officiers supérieurs ont été reconnaître notre secteur, et pourtant notre départ ne parait pas imminent.


Lettre de Clémence à son frère Ernest.


Labadie le 23 juillet 1916

Bien cher Ernest


Nous venons aujourd’hui même de recevoir ta bonne lettre nous faisant toujours le plus grand plaisir de te savoir toujours en bonne santé, mais aussi nous causant de la peine de te savoir dans la direction de Verdun.
Notre santé va toujours pour le mieux, malgré le travail que nous avons ; aujourd’hui dimanche nous avons fini de rentrer le foin de La Prade ; il nous a fallu bien trimer pour le monter car nous n’avons fait que nous deux. Firmin (
le beau-frère de Capdenac, mari de Louise) est monté un jour et nous a fait le tour du pré, M. Bousquet nous l’a coupé avec la faucheuse. Marie de Tols (belle-sœur, épouse de Baptiste) est montée aujourd’hui pendant vêpres, nous en avons profité pour la faire aider. Elles vont toutes les deux très bien et a toujours de bonnes nouvelles de Baptiste.
J’ai reçu aussi des nouvelles de Tante et de Louise ; ils vont tous très bien. De Toulouse il y a longtemps que nous n’avons pas eu de nouvelles.
Il fait depuis quelques jours une chaleur bien forte, mais aujourd’hui le temps est à l’orage, c’est tout nuageux. Fera-t-il un autre orage pour emporter tout ce que nous avons épargné une première fois, ce qui est pas grand chose. On est en ce moment en pleine moisson ; les blés sont tout couchés, ce n’est pas très bon de les moissonner, c’est la grande pluie qu’il a fait pendant cet orage qui l’a couché.
Je ne t’en dirai pas plus long, cher Ernest, sois toujours plein de courage et de force ; nous prions bien tous les soirs avec Maman pour que le Bon Dieu te conserve et qu’il vous fasse tous revenir sains et saufs.
Adieu, cher Ernest, reçois de nous deux nos plus affectueux baisers.

Ta sœur qui t’aime.  Clémence Olivié.


- Lundi 24 juillet 1916 -

Rien de spécial à signaler, en dehors des bruits plus ou moins vraisemblables qui circulent sur notre situation. Les Boches se fortifient à Verdun, de sorte qu’il est possible qu’on nous réserve pour un autre point du front. Que la Ste Volonté de Dieu soit faite !



- Mardi 25 juillet 1916 -

Rien de spécial à signaler ; aucun indice de départ imminent, bien qu’on s’attende chaque jour à déménager. C’est assez curieux que notre séjour se prolonge aussi longtemps. Le soir concert, salut, retraite comme d’habitude. Chaleur assez vive favorable aux travaux de la saison.



Lettre de Tante Eugénie à Ernest.


St Bonnet le 25 juillet 1916

Bien cher neveu,

Je réponds sans tarder à ta lettre pour te dire que si Dieu veut que tu restes dans la fournaise, je ferai tout mon possible pour que tous tes désirs soient accomplis et je mets ta lettre de côté pour ne rien oublier en cas de malheur. Tu as bien fait de me dire toutes ces choses, on ne sait hélas jamais ce qui peut arriver surtout dans le mauvais coin où tu te trouves ; on lui a fait mauvaise réputation, me dis-tu, mais pas sans raison, certainement tous ne resteront pas sur le carreau et j’espère bien que tu seras du nombre. Ce que le Bon Dieu garde est bien gardé et est partout en sûreté et j'ai la ferme confiance que tu nous reviendras sain et sauf. Et que ce ne sera pas moi qui aurai à arranger tes affaires après ta mort, mais que ce sera toi qui arrangeras les miennes, selon les dispositions que j’ai réglées depuis longtemps et qui est la seule chose que je désire ici-bas. Mais si Dieu me demandait encore ce sacrifice, je le recevrais avec résignation. Je ne peux écrire cela sans ressentir un grand serrement de cœur, ni sans verser des larmes. Je l’avoue, la nature se révolte à ces pensées  car il me semble que tu étais un peu mien et je peux te le dire, après ton pauvre père, tu avais la première place dans mon cœur. Je finis avec ces choses tristes et j’espère que nous nous retrouverons sans tarder avec des temps meilleurs.
Je tiens à t’assurer que je ne t’oublie pas dans mes prières et je penserai mieux encore à toi, selon tes désirs, tous les matins pendant la Ste-Messe. Tiens-moi au courant de ce qui se passe. Comme tu peux penser, je suis toujours avide d’avoir des nouvelles.
Je pense que tu auras reçu la lettre et le colis qui l’accompagnait. Je t’en ferai partir un autre à la fin de la semaine, ce que je ferai toutes les semaines jusqu’à nouvel ordre.
Je n’ai reçu de nouvelles de personne cette semaine, je ne sais ce qui se passe. J’ai donné de tes nouvelles à M. le Curé, il t’envoie le bonjour.
Adieu cher Ernest,  je t’embrasse du fond du cœur.

Ta Tante Eugénie.



- Mercredi 26 juillet 1916 -

Rien à signaler.

- Jeudi 27 juillet 1916 -

Température fort chaude, emploi du temps habituel, c’est-à-dire exercice assez dur pour les compagnies dès 6 h 30, mais presque rien à faire pour nous, ce qui est fort étonnant, on prévoit sans doute que nous avons besoin de prendre des forces pour les jours qui vont venir.


- Vendredi 28 juillet 1916 -

Douches pour le 5 e Bataillon durant toute la matinée jusqu’à 11 h. Cela me vaut une visite des amis et confrères Ditte et Foucras.
Rien de spécial pour la soirée. M. l’Aumônier est spécialement occupé à la retraite des 1 ers communiants de la paroisse qui sont un bon petit nombre. Dimanche doit avoir lieu cette touchante fête et il semble que nous pourrons en jouir.


- Samedi 29 juillet 1916 -

Rien de bien spécial pour la journée. A midi, nous allons balayer l’église avec quelques camarades dévoués : on lui donne un grand air de fête pour la solennité de demain, rien ne manque d’ailleurs pour l’orner agréablement. La sacristie est des mieux garnies et les personnes qui en ont la charge l’entretiennent avec zèle et dévouement. Mr le Doyen de Vaubecourt chargé de la paroisse nous invite à l’assister à la messe solennelle de demain comme diacre et sous-diacre. On veut donc faire les choses tout à fait bien, nous ne demandons pas mieux. Quelques confessions le soir.
Notre départ paraît imminent et plusieurs veulent ainsi répondre en quelque sorte à l’appel du Saint-Père qui a demandé à ce qu’une communion générale des enfants de toute la catholicité soit établie afin d’implorer le Sacré Cœur de Jésus pour la cessation du terrible fléau qui nous désole depuis 2 ans.

- Dimanche 30 juillet 1916 -

Sainte Messe à l’heure habituelle. Messe militaire à 8 h 30 : très nombreuse assistance. Tout y est beau : le décor, la musique, les chants et aussi l’assistance. A 10 h messe de 1 ère communion tout à fait solennelle. Eglise archi comble, tout se passe fort bien sauf que la cérémonie est trop longue puisque à 12 h, nous étions encore à l’église, le bon doyen estime sans doute que la dose de patience humaine est bien grande. Beaucoup de soldats sont obligés de sortir avant la fin pour aller prendre leur repas.
A signaler l’assistance fort nombreuse des civils dans des tenues tout à fait soignées : beaucoup, simples cultivateurs, ont leur habit de cérémonie avec un chapeau haut de forme. Quatre chantres sont habillés en soutane et surplis ; ceci par exemple ne leur enlève rien de leur voix de crécelle et  routinière, mais cela fait très beau dans le tableau ; la série des enfants de chœur est bien complète. Bref, tout est bien, fort bien même pour une église de campagne et pour les temps que nous vivons.
Monsieur le Curé ne veut pas accepter de baptiser, ou de laisser baptiser par quelqu’un de nous, un bébé de 2 mois que, pour d’excellentes raisons, paraît-il, on ne peut pas faire baptiser le soir après vêpres. Cela me donne mal au cœur, j’aime mieux ne pas insister là-dessus…
Vêpres fort solennelles et surtout fort longues de 15 h à 17 h 15. C’est encore vraiment trop long et presque énervant ; le bon doyen ne s’en doute pas et prêche, prêche toujours.
Au retour de la cérémonie, on nous annonce que notre départ est fixé à demain matin 8 h direction Verdun. Salut solennel pour les soldats le soir à 7 h.




Suite du récit : Verdun Froideterre.

 
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