Forêt d'Argonne - 2 - 96e R.I. - 5e Cie. - La guerre des mines. Novembre 1916. Mort de Léo CROS. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Forêt d'Argonne - 2 - 96e R.I. - 5e Cie. - La guerre des mines. Novembre 1916. Mort de Léo CROS.

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Que s’est-il passé sur le front de Verdun
depuis qu’Ernest en est parti, le 15 août dernier ?



L’armée française a préparé une véritable contre-offensive. Cette fois, Pétain a obtenu les renforts humains et matériels demandés. Nivelle s’est plié à cette organisation méthodique de la préparation, tandis que Mangin est l’artisan majeur de cette tache immense, réussie malgré de mauvaises conditions climatiques.

Le 21 octobre 1916, jour du début de la préparation immédiate à l’attaque, 650 canons français tonnent ensemble … Le 22 octobre, le côté français simule le départ de l’attaque véritable. Aussitôt, 158 batteries allemandes jusque-là muettes et cachées, ouvrent le feu. Repérées, elles sont contrebattues : 90 seulement d’entre elles seront encore en état de tirer au jour J.

Le jour J a été le 24 octobre 1916, à 11 h 40. À 12 h, l'ouvrage de Thiaumont est pris, à 15 h les soldats du Régiment d'Infanterie Coloniale du Maroc sont sur les superstructures du fort de Douaumont dont la garnison allemande capitule à 20 h. Le fort de Vaux a été reconquis le 2 novembre 1916.


- Vendredi 3 novembre 1916 -

Vers 5 h nous arrivons aux Islettes ; c'est là que je descends au lieu d'aller à Clermont-en-Argonne, comme je devrais le faire régulièrement. Je suis resté à jeun pour dire la Sainte Messe, mais je n'arrive au camp Moissonnier que vers 9 h 30. Je n'ai pas de servant de messe, je ne puis donc la dire. Mon bataillon est en réserve à l'ouvrage 43.

- Samedi 4 novembre 1916 -

Préparatifs des offices de demain ; je dois y pourvoir moi-même, M. Duffeux étant en permission. Je dis la Sainte Messe au tunnel. Journée calme.

- Dimanche 5 novembre 1916 -

M. Ressiguier dit une première messe à 7 h. Je dis moi-même la deuxième à 9 h au poste Boudot : bonne assistance, colonel en tête. Rien de spécial pour le restant de la journée.


Prise du fort et du village de Vaux, consécutive à celle de Douaumont.

Au front.

- Lundi 6 novembre 1916 -

Sainte Messe au tunnel. Préparatifs pour la relève qui se fait à 2 h de l'après-midi. Je suis ma compagnie en ligne. Il y fait très mauvais, la pluie tombant sans répit. Quelle triste vie dans ces gourbis humides et couverts de moisissures ! Dieu veuille accepter toutes nos misères en expiation de nos fautes !

- Mardi 7 novembre 1916 -

Je vais dire la Sainte Messe au tunnel, sans servant, car il ne m'est pas possible d'en avoir un à ma disposition. Journée calme. Pas de blessé. Occupations ordinaires.

- Mercredi 8 novembre 1916 -

Rien de spécial à signaler en dehors de l'octave de la Toussaint que je célèbre assez tristement puisque je suis obligé de dire la Sainte Messe tout seul. Les circonstances ne me permettant pas d'avoir un servant de messe, j'use de l'autorisation donnée par le Saint Père aux prêtres se trouvant dans des circonstances semblables.

- Jeudi 9 novembre 1916 -

Rien de spécial à noter.  Je célèbre le Saint Sacrifice assisté d'un petit séminariste venu d'un poste assez éloigné pour cela.

- Vendredi 10 novembre 1916 -

A 6 h très violente secousse fort prolongée : un véritable tremblement de terre. Bombardement consécutif épouvantable ; de part et d'autre torpilles et bombes pleuvent comme grêle. C'est un vacarme épouvantable : plusieurs tombent à proximité du poste de secours. On apprend que 3 mines boches ont sauté dans le secteur du bataillon. Les dégâts matériels sont énormes, tout est éboulé en ligne : plus de trace de boyaux ou de tranchée, c'est triste à voir. Les poilus ont beaucoup de besogne sur le chantier. Ils s'y mettent avec ardeur. Les Boches en font autant de leur côté car le calme renaît de part et d'autre. Nous n'avons qu'un seul blessé assez léger, c'est vraiment étonnant. Je rencontre M. Sahut de retour de permission.  On lui a fait un accueil enthousiaste dans son ancienne paroisse.

- Samedi 11 novembre 1916 -

A la suite de l'explosion d'une mine, nouveau bombardement qui malheureusement nous fait 2 victimes : un téléphoniste et une ordonnance sont très affreusement mutilés par une bombe à l'entrée de leur abri, nous devons passer toute la matinée à les transporter. Je peux toutefois célébrer le Saint Sacrifice. Le soir, un blessé par une balle à la tête : fracture du crâne et cependant le blessé a toute sa connaissance et marche jusqu'au poste de la division.
Mort de  M. Cros.

- Dimanche 12 novembre 1916 -

Suivant le désir de mon commandant, je célèbre la Sainte Messe au tunnel à 8 h, l'abbé Ressiguier obtient lui aussi l'autorisation de venir dire sa messe.

Au camp de Monthoven.

L'après-midi, relève vers les 2 h sous un tir de bombes assez violent, pas de blessés, grâce à Dieu ! Vers 15 h nous sommes rendus au camp de Monthoven. Soirée à la salle de lecture avec Ressiguier.


Lettre de Grialou à Ernest Olivié.
+ le 12 novembre 1916                                               Bien cher ami


Tu as reçu probablement le petit mot que je t'ai envoyé à mon retour de permission. Vraiment nous n'avons pas eu de chance, car si j'avais su que tu fus à Aubin le soir de mon arrivée, je serais venu passer la veillée avec toi ou je t'aurais emmené chez moi. Ta cousine m'avait fait prévenir par ma sœur que tu devais partir le mardi ou le mercredi. Comme je te le dis sur ma carte, le mardi je suis allé à la gare d'Aubin et le mercredi à celle de Cransac. Je m'étonne que, puisque tu as regardé, nous ne nous soyons pas aperçus. Il est vrai que ce jour-là il y avait beaucoup de monde et de plus le train était tellement long que j'ai eu à peine le temps de le parcourir une fois d'un bout à l'autre pendant l'arrêt. Ce fut vraiment pas de chance car je t’aurais accompagné pour causer un instant avec toi. Enfin, comme tu le dis, espérons que la chance nous favorisera un peu plus une autre

fois.
Quand je suis arrivé au Gua, j’avais déjà passé deux jours de ma permission à Ussel chez mon frère. Aussi je suis reparti le jeudi 2 novembre. Ce jour-là, comme je te cherchais mais en vain, je trouvais cependant notre brave ami Mazars avec qui je fis le voyage jusqu’à Revigny. Mazars est toujours le même, bon garçon un peu timide, un peu triste, mais le moins bilieux du monde. On ne s’est pas embêté avec lui pendant tout le voyage.
A mon arrivée de permission, j'ai trouvé mon régiment au repos où je l'avais laissé à notre retour de Verdun. Dans 3 ou 4 jours, nous repartirons dans la direction du Nord.

Nous voilà maintenant dans un secteur qui, quoique rapproché de V. est cependant très tranquille. Nous sommes même mieux qu'en Argonne. Pour le moment, nous sommes en 2 e ligne, à 2 km des premières lignes et nous habitons dans de grands baraquements élevés sous bois. Nous sommes très bien et nous ne demandons qu'à y passer l'hiver.
Tu as appris en permission la mort de notre bon ami Cros. Depuis 10 mois que je vivais avec lui, j'avais appris à le connaître et à l'apprécier à sa juste valeur. Je pourrais  raconter bien des choses à son sujet. C'était surtout depuis son arrivée au front qu'il s'était complètement
révélé à moi, car c'est ici seulement qu'il avait donné la pleine mesure de sa valeur. Quoique n'étant pas au même régiment, nous nous voyions souvent et je saisissais d'ailleurs toutes les occasions pour aller me retremper au près de lui. Lorsqu'il prit le commandement de la 5e Compagnie du 407, cette compagnie avait très mauvaise réputation, et il eut pas mal à souffrir au début, mais il était arrivé à en imposer à tout le monde par sa fermeté, son esprit de justice et sa bonté. De plus il semblait être une égide pour sa compagnie, car pendant 3 mois il n'eut qu'un tué et un blessé. A Verdun, sa compagnie se trouva par deux fois sous un tir de barrage, et il n'eut ni tué ni blessé. C'est que dans toutes les circonstances périlleuses, il bénissait sa compagnie, et il avait une foi absolue en cette bénédiction. Dans les compagnies voisines, les pertes se chiffraient par dizaines.
L'aumônier divisionnaire le tenait pour un saint,
et il voulait écrire ces jours-ci à Rodez, au Supérieur du séminaire,

pour lui dire son impression sur notre cher ami. Je l'en ai dissuadé en disant qu'à Rodez on avait eu l'occasion de l’apprécier depuis la guerre, et que les séminaristes qui l'ont connu étaient capables de dissiper tous les malentendus qui avaient pu exister autrefois. Et en effet, j'ai écrit à M. Galtier une lettre où je lui disais que je tenais Cros pour un saint. Je pense qu'il l'aura communiquée à ces Messieurs.
Voici les circonstances de sa mort.
Le 21 octobre, je me trouvais en ligne à 200 m à droite de la Station de Fleury. Mais la Compagnie était complètement épuisée ; il me restait 7 hommes et 1 caporal à ma section.  Les autres étaient malades ou avaient les pieds gelés. Ils étaient arrivés tout mouillés, et avaient séjourné 48 h dans l'eau jusqu'aux genoux, sans abri et sans pouvoir faire un mouvement. De plus, nous en étions à notre 22e jour de séjour dans le secteur. Le chef de bataillon demanda à être relevé, et ce fut le 2e Bataillon du 407, moins éprouvé que nous, qui vint tenir les lignes jusqu'au moment de l'attaque. La Compagnie de notre cher ami vint justement relever la mienne. Je restais avec lui toute la nuit du 22 au 23. Nous causions de tous les amis : de toi, d'Estéveny, de Labadie, etc... Cros était content, et au point du jour, je le quittais pour rejoindre ma Compagnie. J'étais loin de penser que je ne le verrais plus. Il paraît qu'il fut blessé peu de temps après mon départ, mais assez légèrement. Mais les communications étaient impossibles avec l'arrière pendant le jour. D'ailleurs ils devaient être relevés définitivement dans la nuit suivante. C'est justement au moment de la relève qu'un obus,

un 105 ou un 130,  tomba sur notre cher ami et le réduisit en morceaux ; le même obus tua son ordonnance Denys et un brancardier. On n'a, paraît-il, retrouvé de lui qu'un bras. Juge de mon émoi lorsque le lendemain, j'appris la triste nouvelle. Je ne voulais d'abord pas y croire, mais ....
Prions un peu pour lui et surtout invoquons-le. Tout à toi en N.S.

Grialou.



- Lundi 13 novembre 1916 -

Sainte Messe vers 7 h. M. l'abbé Chocqueel, qui est de retour de permission, dit sa messe chez nous. Journée bien employée à divers travaux.


-  Mardi 14 novembre 1916 -

Rien de spécial à noter. J’apprends la mort de M. Guiraud, caporal infirmier au 81e. Prêtre des Mission Etrangères de Paris : homme ardent et zélé malgré sa barbe blanche, rapatrié d’Allemagne après un séjour de 20 mois, il était venu comme volontaire au 81e. C’est en accomplissant un acte de dévouement qu’il a été tué par une bombe. Que Dieu lui donne le repos et la lumière éternelle ! Ainsi dans l’espace de moins de 4 mois notre division perd 4 prêtres soldats, c’est un chiffre éloquent, comme on dit !

Réunion habituelle autour du poêle de notre salle de lecture. Evidemment, nous n’arrivons pas au but visé, nous n’avons pas encore un noyau constitué

capable de donner un bon moment, impossible de réciter la prière du soir en commun comme prévu, impossible de placer quelques conseils utiles, la plupart des habitués de la salle ne sont pas pratiquants.
Le bien-être relatif et la tranquillité qu’ils trouvent là les attirent. Mais tous s’y tiennent très bien et un certain respect du lieu et des gens les porte à modifier du tout au tout leur langage et tout leur extérieur déluré, de ce fait une partie de notre but est atteint.
Un groupe de soldats s’est écarté de l’atmosphère empestée  des baraquements où pendant ces longues veillées les conversations plus que légères ont libre cours.
Evidemment ceci est purement négatif ; il y aurait moyen d’arriver à mieux pour un autre que moi. Mon zèle n’est pas assez soutenu, je n’ai pas les qualités d’un organisateur d’œuvres. Cela je le reconnais et je demande à Dieu de me donner là-dessus le secours de ses lumières.


- Mercredi 15 novembre 1916 -

Rien de spécial à noter pour la journée. Temps glacial. Il fait bon se chauffer autour de notre poële, on va ramasser du bois mort dans la soirée.


Lettre de C. Palayret à Ernest Olivié.  

 Le 15 novembre 1916

Mon bien cher ami,


Je suis presque en retard avec toi : c’est que ces temps derniers, je n’ai pas cessé de circuler d’une batterie à l’autre et d’un poste à un autre, pour remplacer tel ou tel permissionnaire.
Me voilà enfin à un poste à peu près fixe : j’en profite pour te donner de mes bonnes nouvelles et te dire que j’ai bien reçu ta carte du mois dernier.

Tu es donc revenu en permission : « Caritas »
( * ) a mentionné ton passage récent au séminaire. Et ce vin nouveau, était-il bon ? J’espère que tu y auras fait honneur. Pour moi, il me tarde bien de revenir respirer l’air du pays, mais il faudra attendre aux environs de la Noël.
Pour le moment, je reste à une position assez calme, où je ne me trouve pas trop mal. On a de bonnes « cagnas » et pas trop de travail. Quant à  Taurines, je ne l’ai pas vu depuis près d’un mois, nos batteries étant distantes d’au moins 6 kilomètres. Je crois cependant qu’il est parti à l’arrière faire un stage à la T.S.F. Presque de « l’embuscage », quoi !
J’ai appris qu’Estivals
était revenu sur le front, au 122, j’ai même trouvé une compagnie de son bataillon en réserve sur notre gauche, mais lui n’y était pas, d’où je n’ai pas pu le voir.
Poujol m’a écrit ces jours-ci pour m’annoncer que son groupe a été désigné pour la grande traversée, direction  Salonique. Naturellement, il n’est pas enchanté de faire une expédition si lointaine.
A propos, j’oubliais de te féliciter de la belle citation dont tu as fait l’objet aux affaires de Verdun. L’honneur s’en étend à toute la « corporation ».
Au plaisir, bien cher Ami, d’avoir encore un mot de ta part. Soyons toujours unis dans la prière et l’esprit de sacrifice.


Amicale poignée de main.    C. Palayret.

( * ) "Caritas" est un petit journal mensuel et manuscrit, rédigé par le Grand Séminaire de Rodez depuis 1908 environ, destiné aux anciens séminaristes soldats.

- Jeudi 16 novembre 1916 -

Sainte Messe vers 7 h. Un caporal de la 5e se confesse et communie. C’est le 1er qui assiste à nos messes du matin, la ferveur n’est vraiment pas grande parmi nos soldats.
Travaux habituels dans la journée, ramasser et brûler les feuilles mortes.


- Vendredi 17 novembre 1916 -

M. Duffeux rentre de permission et dit sa messe après la nôtre vers 7 h. Je ne le revois plus de toute la journée.
Le soir séance cinématographique : les films dans l’ensemble sont convenables, aucun d’eux n’a trait à la guerre. Mais le répertoire du phonographe qui, avant et pendant et après, se fait entendre, est presque exclusivement grivois et souvent pornographique. Faut-il vraiment que ceux qui sont chargés d’organiser ces auditions aient un sentiment si bas du goût du soldat ! Le seul répertoire classique de nos extraits d’opéra ne satisferait-il pas mieux les goûts de l’ensemble des auditeurs.
Là dessus par conséquent, il y aurait une amélioration considérable à amener, malheureusement elle ne dépend pas de nous. A 20 h, tout est fini.


- Samedi 18 novembre 1916 -

Au réveil nous trouvons le sol blanc de neige un beau manteau immaculé ! Sainte Messe comme d’habitude. Pendant la journée, la température se radoucit, il pleut légèrement, ce qui fait rapidement fondre la neige, mais en même temps le dégel se produit, ce qui amène beaucoup de boue. Vers 15 h nous arrivons au camp Moissonnier où nous nous installons tant bien que mal. Je reçois la visite de M. Sahut avec lequel je vais trouver le commandant Escargnel pour lui annoncer l’horaire des offices de demain.

- Dimanche 19 novembre 1916 -

M. Ressiguier dit la messe de 6 h 30 au poste Baudot à laquelle assistent quelques poilus, très peu. A 9 h grand-messe : petite assistance. A 11 h, 3e messe au camp Moissonnier.
Le soir visite de M. Sahut.

Lundi 20 novembre 1916 -

Sainte Messe au Baudot. Rien de spécial pour la journée. Le soir notre artillerie exécute un tir de plus d’une heure, très violent et serré, sur des positions en arrière de leurs lignes. On emploie des obus à gaz. Les Boches ne répondent pas, de sorte que le restant de la nuit est calme.


- Mardi 21 novembre 1916 -

Je suis chargé de la garde des eaux de boisson : je me morfonds durant toute la journée. Le soir visite M . Sahut.


Lettre du curé de Glassac

Glassac 21 nov. 16


Cher ami,

   Vos nouvelles sont toujours les bienvenues et s’il y a plaisir à vous lire, je ne veux pas retarder ma conversation à distance. Vos parents, vous le savez, vont bien ; dans le pays il n’y a rien qui se signale à l’attention. Comme vous, Pierre Sérieye était ici pour les fêtes de la Toussaint ainsi que son beau-frère Laporte. Joseph Sérieye n’est pas favorisé pour les permissions. On l’attend toujours en vain. Le curé d’Escandolières prenait ses sept jours la semaine dernière. Nous avons vu Alfred Tamalet, lui aussi en Argonne, employé au 79. Je n’ai pas des nouvelles fraîches de l’abbé Estivals. Hier j’étais à Rodez ; le monde des infirmiers y était bouleversé. Du grand séminaire de St-Joseph, 15 partants pour Perpignan. On appelait les auxiliaires jusqu’à la classe 95, sauf qq exceptions motivées, Babec restait comme inapte, Dalmayrac comme ayant un bras en compote pour furoncle. Il y avait à St-Joseph une visite devant décider du service armé pour quelques-uns. Pourtant à Perpignan, on se plaint de la stagnation. M. Belmon y grille de désœuvrement depuis assez longtemps. Le curé de Solsac est parti pour Salonique. Pierre ( ?) avait échappé pour cette fois à l’expédition, mais Auguste Couderc est parti à cette heure avec les coloniaux.
La chronique civile n’est guère plus riche que la chronique militaire. L’ordonnance épiscopale sur les services funèbres m’a donné quelques jours de repas
(ou repos ?) ; j’espère que le respect des volontés épiscopales persévérera et ce sera la vie normale redonnée à mon ministère. Le service de la belle-mère du maire d’Escandolières s’est fait le 8 nov. Sous le nouveau régime avec une seule messe. Je n’ai pas vu le curé de Testet qui doit continuer son entreprise de Firmy  (ce qui signifie ?); mais j’ai vu le curé de Combret partant pour Bertholène : son successeur est arrivé à Combret. Le quartier de Nauviale ne s’est pas trop dégarni.
A St-Christophe il y a eu une rupture ministérielle et M. le curé est sans gouvernement. La crise dure depuis le 4 nov. ; elle pourrait durer encore.
(en langage ecclésiastique, cela signifie qu’il n’y a plus de bonne du curé à St-Christophe !)
On a presque fini de cueillir les châtaignes ; les blés sont ensemencés en petite partie. La semaine dernière nos propriétaires étaient en grand train lorsque le temps, malgré son vent du nord et ses belles apparences, changea en une demi-journée ; les pluies sont revenues, abondantes. Le N.Ouest semble s’agiter et peut-être nous conduira-t-il vers le Nord.
Dans le pays, peu de mortalité. On n’annonce pas dans la région de nouvelles victimes de guerre.
A Marcillac hier, et aujourd’hui à St-Christophe, le bétail avait haut cours. J’ai trouvé l’abbé Sirmain en permission. Il vendait un habillé de soie, joli du reste, 136 f le quintal de 50 kg
(en Rouergue, un quintal pesait 50 kg). Et dire qu’on nous annonce le Comité des économies ! Il y a tant de bouches agglomérées sur le sol de France ! Une quinzaine d’annamites déambulaient hier dans l’Hôpital de St Joseph. On leur confiera les corvées. Un certain nombre d’hôpitaux vont se fermer. (ou se former ?)
En reprenant le train de Capdenac, j’ai eu l’agréable surprise de rencontrer un compatriote rhétoricien allant gaillardement combler quelque vide au grand séminaire. Cela me donnera l’occasion d’aller voir le personnel séminariste.
Au milieu de vos sacrifices, de vos privations, cher ami, restons unis de prière, de souvenir et de cœur.
En attendant le plaisir de vous lire à nouveau, je vous envoie l’accolade bien fraternelle.
   J. Ladetz



Lettre de L. Poujol à Ernest Olivié.

+ 21 - 11 - 16


Bien cher Ernest



J'ai pas mal de choses assez sensationnelles à te faire connaître depuis ma dernière lettre. Je te l'écrivais de l'Oise, dans un cantonnement de repos, quelques jours après mon retour de permission.
Au moment où tu devais préparer la réponse, nous apprenions que toute notre division allait partir pour Salonique. Le 8 nous prenions le train et par Beauvais, Etampes, Versailles, Melun, Montereau, Mâcon, Bourg, Ambérieu nous arrivions le 10 à midi à Lyon en gare de la Guillottière. Nous faisions ensuite machine en arrière par étape, et venions nous installer dans un coquet village de l'Ain non loin des bords du Rhône et sur la voie ferrée de Genève. C'est de là que je t'envoie ces lignes.
On a bien voulu nous octroyer 4 jours de permission pour nous faciliter l'absorption de la pilule. Je devais partir au second tour, l'effectif partant par moitié chaque fois, mais les infirmiers s'étant rencontrés tous à partir ensemble, le major a voulu que je devance mon tour pour m'avoir à sa disposition en l'absence des autres. Le 12 donc je me mettais en route, et comme je ne réussis pas à prendre le train exprès de midi, je passai la soirée de ce jour dimanche à Lyon, jusqu'à minuit. J'en ai profité pour visiter la ville et surtout Fourvière, ce merveilleux joyau, orgueil de tout Lyonnais qui se respecte. Les voyages étant compris dans les 4 jours accordés, je n'ai eu que fort peu de temps à passer chez moi. Je n'ai vu absolument personne à Rodez où je n'ai fait que passer. Je suis rentré le 18 au matin avec un jour et plus de retard, mais le second tour étant déjà en route depuis la veille et les offs avec, personne ne nous a rien dit. D'ailleurs, j'étais loin d'être le dernier à rentrer !
Depuis on vaccine à grand train la moitié du groupe restant, contre le choléra, la variole etc que sais-je encore ! Le pays est agréable, le climat doux et la patrie de St Sornin - cher au poilu - si proche et abordable.
Ma famille a été assez affectée de la nouvelle, moi point du tout ou à peine. Le nouveau attire toujours, et en voilà ! Et puis nous n'aurons jamais une Somme là-bas ! Il y aura compensation par les misères variées, fièvres, mauvaise alimentation etc. Qu'importe ! Nous partons tous ensemble, avec notre aumônier ; avec l'aide du Bon Dieu on s'en tirera au mieux. Et puis si nous avons l'honneur d'être marqués, que nous importe si nos os sont en terre française, en Bulgarie ou dans le ventre d'un requin !
Depuis quelques temps (début du mois) je n'ai pas de nouvelles de Privat. Estéveny m'écrit le 6 courant qu'il moisit toujours au dépôt en attendant qu'on veuille bien de ses services ailleurs !
Et toi, que deviens-tu ? Je compte être suivi par tes prières auprès du Bon Dieu.

Jusqu'à ta prochaine, resserrons-nous par le cœur d'autant plus que nos corps s'éloignent, et surtout retrouvons-nous souvent dans le Cœur du Maître.


Je t'embrasse bien fort.  

L.Poujol

- Mercredi 22 novembre 1916 -

Sainte Messe vers 6 h 30 à Baudot. Travaux divers durant la matinée. Après la soupe du soir, visite de l’abbé Tersy du 81e, ancien collègue du 322e, il veut bien m’inviter à manger avec lui demain soir, gare de Monastir.


- Jeudi 23 novembre 1916 -

Rien de spécial à signaler. Je jouis pendant la journée d’une liberté relative dont je profite pour régler un peu mes petites affaires. Souper chez Tersy avec Lagrange.


- Vendredi 24 novembre 1916 -

Sainte Messe à Baudot. Mon cousin Clément Olivié y assiste, nous déjeunons ensuite ensemble, après quoi je vais prendre la garde à l’eau.

Au front.

Soupe et départ pour les lignes vers 13 h. Je suis désigné pour rester avec la compagnie en ligne : je préfère du reste. Temps radieux au matin, mais sombre l’après-midi ; avec la nuit une pluie fine se met à tomber qui va rendre notre séjour ici fort désagréable. Toujours que la volonté de Dieu soit faite ! Nuit calme.



Lettre de Joseph Privat à Ernest Olivié.

+ le 24/11 1916


Mon bien cher Olivier, (*)



Excuse-moi d'être un peu en retard pour répondre à ton aimable lettre du 13 courant. Les circonstances en sont un peu la cause, car dans le secteur que j'occupe, il ne m'est pas donné d'écrire chaque jour. Jusqu'ici je suis sain et sauf et j'espère rester tel pendant les quelques jours que nous avons à faire.
D'ailleurs le calme s'est fait peu à peu et le secteur est moins mauvais et moins meurtrier que les premiers jours. Je ne sais où on nous enverra quand nous sortirons d'ici. Il circule toute sorte de bruits et bien téméraire est celui qui prétend avoir le bon "tuyau".

Quant à la fin de la guerre, je ne l'envisage même plus. Elle me paraît devoir durer toujours et je conforme ma vie à cette croyance. Comme l'année dernière, j'avais espéré avoir la blessure "pépère", je ne l'ai pas eue ; je m'en console facilement, espérant qu'on nous donnera, pour le reste de l'hiver, un secteur calme précédé de quelques jours de repos.
Au printemps ce sera à recommencer. Aurons-nous de plus beaux succès ? Il faut l'espérer et le désirer, mais une solution par les armes ne me paraît pas prochaine, et beaucoup de mes camarades pensent comme moi.
Tu ne saurais croire le grand plaisir que m'a causé ta lettre, et je suis très heureux de continuer ces relations épistolaires. Depuis que je suis au 9e C.A., je suis si isolé. Sauf quelques lettres d'Estéveny, de Poujol et Caritas, rien ne me rappelle notre passé, rien ne me parle de notre avenir. Et pourtant, j'aurais tant besoin d'encouragements, de secours spirituel. Voilà la cinquième année de service, dix-huit mois que je vis parmi les officiers ; comme tout cela nous éloigne de notre ancien milieu.
Espérons que Dieu aura pitié de nous, qu'il tiendra compte des difficultés que nous avons à surmonter, qu'il n'oubliera pas les souffrances qui nous sont imposées et que nous ne manquons pas de lui offrir.
Puisque tu as le bonheur d'être prêtre, je me permets de me recommander d'une façon toute spéciale à tes prières, et à mon tour je te promets l'appui de mes petits sacrifices.
Bien à toi en N.S.

Privat.

(*) Les 2 écritures du nom d'Ernest - Olivié ou Olivier - ont toujours été utilisées, soit dans la famille, soit ailleurs. Les papiers civils et militaires portent l'orthographe "Olivié".


- Samedi 25 novembre 1916 -

Vers 7 h, après m’être rendu compte qu’on n’aurait pas besoin de mes services de brancardier, je me rends au tunnel pour y célébrer la Sainte Messe pour le repos de l’âme de notre cher père, suivant l’habitude que j’ai prise d’en célébrer une tous les samedis ; cela permet à ma pauvre maman et à tous les autres de se joindre à moi plus intimement ce jour-là.  Journée triste et pluvieuse sans aucun relief.

Lettre de Jean-Antoine Estéveny à Ernest Olivié


Mazamet, 25 novembre
(1916)

Mon cher ami,


Il est probable que lorsque tu liras ma prose, le cafard t’aura depuis longtemps déjà f… la paix !… Je comprends qu’au retour d’une permission, quand on retrouve la tranchée avec son froid, son eau, sa faim, sa soif, ses privations de toutes sortes – le domaine de la mort – on doive réagir fortement pour ne pas se laisser entraîner dans les flots de la mélancolie … tout le monde en  passe par là. Qui ne connaît ces moments où l’on est dégoûté de tout ; on parle peu ; on a besoin de silence ; on prend plaisir à se torturer l’esprit et le cœur ; on pleurerait presque si on n’en avait perdu l’habitude depuis si longtemps.

Ces jours-ci, j’ai dû réagir moi aussi pour ne pas me laisser complètement abattre. J’avais assez de tout. L’administration que je sers m’a un peu ballotté de tous côtés et en tous sens. De Mende, j’ai été envoyé à Mazamet ; sitôt arrivé à Mazamet, (l’officier que je venais remplacer étant revenu) on m’a renvoyé à Mende ; mais en cours de route j’ai été télégraphiquement rappelé à Mazamet, où une surprise énorme m’attendait : j’étais désigné pour suivre le 8 e cours de grenadier à Labruguière. Et dire que j’avais suivi ce cours il y a trois semaines à peine…
Heureusement le temps passe … les jours s’écoulent et le moment de retourner au front approche : je suis 2 e à partir. Quelle veine. Si tu savais comme certaines heures j’ai honte de me trouver encore à l’arrière. J’ai si peu donné dans la bataille ; je n’ai rien fait ; et autour de moi, on a tant fait ; tu as tout fait toi et les autres qui luttez sans discontinuer depuis des années … Je ne suis pas courageux, mais je suis consciencieux, et je sens que ma place est parmi vous. Et là, la grâce de Dieu aidant, je saurai bien faire quelque chose, tout au moins vendre ma vie….
Inutile de te dire qu’au cours de ces déménagements successifs, ce sont de nouveaux visages que l’on rencontre, des relations à nouer. On se sent isolé pendant au moins deux ou trois jours et quand on s’est reconnu, il faut aller planter la tente ailleurs…
Je lis énormément ; parce que j’ai beaucoup de loisirs ; parce que je me suis aperçu que c’était utile pour combler les lacunes de ma formation ; parce que avec un livre, je ne me sens plus isolé. J’ai un ami qui me connaît et qui dissipe mon cafard…
Mais la lecture a un défaut : elle dessèche le cœur et la piété. A ce point de vue, je n’ai pas fait grand progrès. Et pourtant le sacerdoce est là qui m’attend moi aussi ; et il y a si loin de moi à l’Idéal.
Prions toujours l’un pour l’autre, toi pour le perfectionnement de ma formation cléricale. Moi je prierai pour ta persévérance ; pour que tu fasses beaucoup de bien à beaucoup d’âmes, comme tu le dois faire par vocation … et par reconnaissance : tu as tant été aimé du Maître, toi qui as pu goûter aux joies du sacerdoce, toi qui peux sacrifier tous les jours – ou à peu près.
Je pars pour Labruguière lundi 27. Tu peux m’écrire ici à Mazamet, tes lettres me parviendront sûrement. Il y a longtemps que je n’ai pas eu de nouvelles de Poujol.

Je t’embrasse.    Estéveny.

- Dimanche 26 novembre 1916 -

Sainte Messe au Tunnel vers 6 h 30. Assez de tranquillité pendant la journée, ce qui me permet de réciter une bonne partie de l’office divin. Quelques obus dans la direction du camp Moissonnier. Rien de spécial en dehors du recul fantastique qu’éprouvent les Roumains ; cela prend presque mauvaise tournure. Craïova est pris déjà par les Bulgaro-Boches.

- Lundi 27 novembre 1916 -

Vers 6 h 15, explosion presque simultanée de deux mines ou camouflets ; bombardement habituel à la suite, pas de victimes. On sait dans la suite qu’il ne s’agit chez nous que d’un camouflet qu’ont fait (jouer ?) les Boches pour détruire une de nos galeries. Il y ont réussi et en plus ils ont bouleversé nos postes et nos boyaux : encore du travail pour le pauvre poilu ! De par ailleurs le temps reste maussade, mais les Boches sont assez calmes : quelques bombes seulement l’après-midi.


- Mardi 28 novembre 1916 -

Sainte Messe vers 7 h au Tunnel. Nos braves poilus ont beaucoup de travail pour remettre le secteur en état, par comble de malheur le temps redevient pluvieux et les Boches lancent beaucoup de bombes. Pas d’accident.


- Mercredi 29 novembre 1916 -

Rien de spécial à noter. Dans la nuit bombardement assez violent de part et d’autre.


Suite du récit : Argonne - 3.


 
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